Nouvelles technologies : la solution pour atteindre les enfants les plus éloignés de l’école ?
par Marie Ollivier
18 juin 2020

Snapchat, Discord, Zoom… Dans de nombreux pays, la fermeture des établissements scolaires à cause de la pandémie de Covid-19 a amené les enseignants à se réinventer pour permettre à leurs élèves de continuer à suivre les cours, autrement.

Avec les moyens (technologiques) du bord, ils ont animé des lives, fait participer les enfants et adolescents via des applications, et utilisé des plateformes de contenu comme Lumni ou Khan Academy pour susciter des découvertes instructives ou faire comprendre certaines notions du cours de façon ludique. Ces technologies représentent un atout incontestable : elles permettent en un clic de donner et d’avoir accès à des outils pédagogiques, et à la connaissance. Mais encore faut-il en avoir les moyens… L’accès à l’éducation, que l’on prenait pour acquis dans les pays occidentaux, a été l’une des préoccupations de ces derniers mois : de nombreuses personnes ont tenté, coûte que coûte, d’assurer la continuité pédagogique pour tous.

Pendant le confinement, en France, de nombreuses initiatives numériques ont vu le jour pour accompagner au mieux les enseignants et les élèves. C’est ainsi qu’est née l’association éphémère Faire École Ensemble (FÉE) qui a pour but de mobiliser la société civile afin de venir en aide à la communauté éducative en temps de crise, dans les situations de confinement et de déconfinement. FÉE mobilise les citoyens autour de trois grands axes : la recherche-action et la documentation (enquêtes sur les formes de (dis)continuité pédagogique), l’outillage technique (repenser les salles de classe et les programmes en temps de crise) et l’assistance de proximité aux enseignants (création de liens et de temps d’échange entre professionnels). Une initiative encourageante, qui montre à quel point l’éducation est primordiale et mobilise la société civile au-delà du seul corps enseignant.

L’accès à une éducation de qualité est le quatrième des dix-sept Objectifs de Développement Durable formulés par l’ONU en 2015. L’éducation est l’un des leviers majeurs de la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Dans le monde, un enfant sur cinq entre 6 et 17 ans ne va pas à l’école. En Afrique subsaharienne, ce sont environ 19% des enfants en âge d’aller à l’école qui ne s’y rendent pas, contre seulement 1,7% en Europe de l’Ouest / Amérique du Nord.

Mais le confinement a aussi mis en lumière les inégalités au sein des pays « développés », notamment en raison de la fracture sociale et numérique. Que l’on vive dans une famille aisée, dans laquelle chacun a son ordinateur et un espace propice pour travailler, dans une famille où il n’y a qu’un seul ordinateur utilisable dans un espace restreint, ou dans un lieu où la connexion internet n’est pas bonne voire inexistante, les conditions de développement des enfants et leurs apprentissages ne sont pas les mêmes. En France, selon le Ministère de l’Éducation Nationale, 5 à 8% des élèves (de l’école primaire au lycée) n’auraient pas donné signe de vie à leurs enseignants pendant le confinement, ce qui représente tout de même entre 600 000 et 960 000 personnes.

Le numérique en tant qu’outil pédagogique et plateforme de contenu représente une opportunité sans précédent dans le domaine de l’éducation. Seulement, il peut creuser les inégalités s’il ne parvient pas aux populations les plus vulnérables, en France et ailleurs.

En Afrique, où le taux de pénétration mobile s’accroît de manière exponentielle (chaque année, la population d’Afrique subsaharienne ayant accès à une connexion mobile augmente de 5%), des programmes d’accès à l’éducation par les technologies mobiles et numériques tentent de rapprocher les élèves les plus éloignés de l’école. Orange, entreprise de télécommunications présente dans 18 pays d’Afrique, collabore depuis plusieurs années sur des programmes d’accès à l’éducation à Madagascar, au Mali ou au Sénégal, en partenariat avec des agences de développement comme l’AFD, des ONG et les ministères des États concernés.

Les défis sont de taille dans ces pays où la pression démographique pèse sur le système éducatif (selon l’ONU, en Afrique, les moins de 25 ans représenteront plus de la moitié de la population d’ici à 2050), où les inégalités d’accès à l’éducation sont importantes, et où le manque de professeurs et de formation se fait sentir. En Afrique subsaharienne plus précisément, seuls 65% des enseignants en primaire sont formés à leur métier.

A Madagascar, le programme Initiative Francophone pour La Formation À Distance des Maîtres (IFADEM) mis en place par Orange, l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) avait permis de renforcer l’accompagnement pédagogique, grâce notamment à de la formation à distance par SMS sous forme de quizz. Dans ce cadre, près de 500 enseignants avaient été formés, impactant en retour près de 22 000 élèves. Des dispositifs testés à l’état de pilotes, étudiés et éprouvés avant de pouvoir véritablement passer à l’échelle. Au Mali par exemple, Orange expérimente aussi l’utilisation de tablettes numériques ou de vidéoprojecteurs dans les classes.

A l’heure où le monde de l’éducation s’interroge plus que jamais sur la montée du numérique et la levée de certaines barrières réglementaires ou psychologiques face à la technologie, l’Ideas Box (…) est prometteuse car elle combine outils numériques et livres papier tout en créant un espace physique où chacun peut apprendre, se cultiver, échanger, et laisser place à sa créativité.

L’ONG Bibliothèques Sans Frontières, qui cherche à rapprocher les populations les plus éloignées de la culture et de l’éducation, met également à disposition de nombreux outils numériques dans son Ideas Box, une médiathèque en kit colorée qui se transforme en un espace de cent mètres carrés déployable en quelques minutes sur n’importe quel terrain. Cette boîte à outils ergonomique est le fruit de la collaboration entre Bibliothèques Sans Frontières, le designer Philippe Starck et le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations-Unies. Dans les pays les plus pauvres ou auprès des populations les plus vulnérables en France, cette ingénieuse mallette offre l’accès à internet, à une vingtaine d’ordinateurs et de tablettes, à des livres papier et numériques, et à de multiples ressources pédagogiques telles que la plateforme Khan Academy, qui a d’ailleurs été traduite en français par Bibliothèques Sans Frontières. Au Burundi, en Colombie, au sein de camps de réfugiés en Syrie ou dans les territoires ruraux en France, plus d’1,3 millions de personnes dans une vingtaine de pays ont déjà utilisé les Ideas Box.

A l’heure où le monde de l’éducation s’interroge plus que jamais sur la montée du numérique et la levée de certaines barrières réglementaires ou psychologiques face à la technologie, l’Ideas Box, qui intervient la plupart du temps dans un cadre d’éducation populaire est prometteuse car elle combine outils numériques et livres papier tout en créant un espace physique où chacun peut apprendre, se cultiver, échanger, et laisser place à sa créativité.

Ces approches mixtes sont intéressantes puisque l’expansion du numérique – considérablement accélérée ces derniers temps – soulève en même temps de nombreuses interrogations, voire des inquiétudes face aux effets addictifs des écrans, à leur impact sur la santé mentale et physique des enfants ou aux dérives des réseaux sociaux et de certaines innovations. Les moyens technologiques – frugaux ou de pointe – constituent un outil solide pour permettre d’assurer les cours, de former les professeurs et de permettre aux enfants les plus éloignés d’accéder au contenu et aux méthodes pédagogiques dans des situations de grande pauvreté ou en temps de crise.

La technologie peut agir en complémentarité mais ne peut en aucun cas remplacer l’école en tant qu’espace physique. C’est ce que le confinement et l’école à distance ont prouvé ces dernières semaines, pour les élèves et les enseignants. Le besoin de se retrouver et d’échanger est devenu de plus en plus fort. L’école est finalement l’un des premiers lieux de sociabilité, où l’on interagit avec les autres et où, au-delà des connaissances, chacun apprend des savoir-être essentiels pour vivre en société.

L’innovation éducative, si elle est technologique, doit aussi être pédagogique afin que l’école forme des « têtes bien faites » plutôt que des « têtes bien pleines », ce que l’on reproche souvent au système éducatif français. Dans cet état d’esprit, la communauté MakeSense Éducation, créée il y a quelques semaines et qui regroupe déjà près de 400 personnes, vise à inspirer, engager et outiller les citoyens, professionnels de l’éducation, entrepreneurs sociaux et organisations pour construire un système éducatif inclusif et collaboratif. Leur mission plus globale : répondre à tous ces enjeux de l’éducation de demain. Pour reprendre les mots de Ben Shneiderman, professeur et scientifique américain: « nous devons faire plus qu’apprendre à nos enfants à surfer sur le net, nous devons leur apprendre à faire des vagues ».

 


A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.Licence Creative CommonsCe(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France.