Au Liban, comment les acteurs de l’éducation font face à la crise financière
par Thomas Fouan
2 juillet 2020

Au Liban, la crise financière et économique, l’instabilité politique et la situation sanitaire viennent frapper de plein fouet un système éducatif déjà fragilisé. La rentrée prochaine s’annonce comme un immense défi mais les acteurs du secteur, les associations et les parents refusent de baisser les bras. Devant l’urgence de la situation, des initiatives voient le jour pour lutter contre la déscolarisation, élève après élève.

De nombreuses familles choisissaient l’enseignement privé, malgré la charge financière que cela représente dans les revenus du ménage. Mais la crise financière a rebattu les cartes. 

Le fossé qui sépare les systèmes éducatifs privés et publics au Liban est profond. Historiquement, le privé rassemble 70% des effectifs : ces établissement sont le reflet du multiculturalisme au Liban et la qualité de l’enseignement y est reconnue, même si les frais d’inscription demandent parfois aux familles de faire des sacrifices. L’enseignement public accuse lui un sérieux retard, il accueille 30% des élèves mais ne semble pas pouvoir faire davantage. Faute d’investissements, les infrastructures vieillissent et les établissements saturent. Entre ces deux alternatives subsistent les écoles “semi-gratuites”, dont la survie est menacée par la suspension du paiement des subventions d’Etat, depuis 2015.

Dans le contexte financier actuel, la hausse récente des écolages mais surtout la baisse relative des salaires et l’augmentation du chômage rendent l’option privée difficilement envisageable pour beaucoup de foyers. L’Etat ne dispose pas des fonds nécessaires pour mettre le public à niveau et accueillir dans de bonnes conditions les quelques 40 000 élèves qui ont quitté le privé cette année faute de moyens. A cela s’ajoutent les blocages lors de manifestations et le confinement sanitaire. Dos au mur, directeurs d’écoles, entrepreneurs et associations tentent d’apporter leurs solutions.

En première ligne, les directions des écoles réagissent pour que leurs établissements puissent ouvrir en septembre.

Charlie Eghnatios est docteure en Sciences de l’éducation, responsable de maternelle et membre du Conseil de direction dans une école privée catholique de la région de Tripoli, au nord du pays. Dans l’enseignement depuis 20 ans, elle fait aujourd’hui face à un double défi : préserver la scolarité de tous ses élèves et garantir l’emploi des enseignants pour la rentrée prochaine.

En l’absence de directives du ministère de l’éducation, la direction a monté un plan de redressement pour son école. Elle contacte chaque famille, appelle tous les parents d’élèves, pour trouver avec eux un terrain d’entente et les engager à se réinscrire fermement pour l’année prochaine. C’est à cette condition qu’elle pourra établir son budget et maintenir les professeurs à leur poste. Le calendrier est serré et ce plan doit être mis sur pied d’ici au 4 juillet, date à laquelle il ne sera plus possible d’ajuster les effectifs du corps enseignant.

En parallèle, elle prépare avec ses équipes deux programmes : l’un pour un enseignement classique, l’autre adapté à des cours à distance si, pour des raisons sanitaires ou autres, l’établissement ne serait pas en mesure d’ouvrir ses salles de classes.

En l’état actuel, le digital est plus un palliatif qu’une solution à long terme pour l’éducation.

Des cours à distance, d’autres y ont pensé. Trois jeunes libanais de France, Léa et Joy Abousleiman et Paul Nachawati sont à l’origine du projet “Coup de pouce virtuel”. Il s’agit d’une plateforme en ligne qui met en relation tuteurs bénévoles et élèves au Liban. Ce dispositif a pour but d’assurer la continuité de l’enseignement pour les étudiants dans cette année compliquée : entre les manifestations et le confinement imposé par l’épidémie de Covid-19, les écoles n’ont pu accueillir leurs élèves que 3 à 4 mois.

Ces initiatives, dont certaines ont été imaginées dans l’urgence de la crise sanitaire, ne peuvent être considérées comme des solutions à long terme. Les élèves ne sont d’ailleurs pas tous équipés pour en bénéficier. Elles offrent cependant un aperçu de ce qu’il est possible de faire avec des moyens et une période de développement moins restreints. Elles proposent également une alternative et permettent d’éviter une rupture dans l’enseignement, cause de décrochages scolaires parfois définitifs.

Localement, les associations ont aussi un important rôle de soutien à jouer pendant cette période difficile.

Dans certaines régions du Liban, plus rurales ou paupérisées par la crise, les moyens ne permettent pas aux parents de considérer l’enseignement privé et l’infrastructure publique n’est pas adaptée à la demande. Certaines familles préfèrent alors ne pas envoyer du tout leurs enfants à l’école. A l’échelle du pays, le taux de déscolarisation est de 10% mais il est bien plus élevé dans ces zones en particulier.

Aygline de Clinchamps travaille dans la région de Tripoli où elle constate les impacts directs de la situation financière actuelle : près de 50% de la population y vit désormais sous le seuil de pauvreté. Avec son association, Michael Home, elle cherche des parrainages privés pour financer les frais de scolarité d’enfants qui ont quitté les bancs de l’école. Jusqu’ici, les financements proviennent exclusivement de particuliers : chaque donateur parraine un enfant. Les fonds sont directement envoyés à l’école car l’action de l’association se concentre sur l’éducation, même si les besoins généraux et la demande auprès des ONG a explosé ces derniers mois.

A plus long terme, l’association souhaiterait aussi participer à la remise en état et à la maintenance des établissements scolaires. Ces projets de développement passent pour l’heure au second plan, la conjoncture pressant d’aller au plus urgent. Dans l’attente d’un plan de relance structuré au niveau national, des crédits demandés par les écoles déficitaires, du retour des subventions voire de leur extension au secteur privé, ou du paiement des salaires, les acteurs du monde de l’éducation tâchent de faire front et de proposer des alternatives.

Sur fond de revendications, les enseignants, les directeurs, les membres d’associations et les parents d’élèves refusent de laisser leurs enfants payer les pots cassés. Le contexte est tendu et le confinement n’a pas facilité le dialogue entre les différentes parties. Pourtant, tous s’accordent sur le fait qu’une jeunesse éduquée sera la clé pour éviter ce genre de situation à l’avenir.

 


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