La question de l’accès à l’éducation pour les filles afghanes est à la fois un sujet épineux et un enjeu majeur du pays. Lorsque les Talibans étaient au pouvoir, jusqu’en 2001, la plupart des écoles accessibles aux filles ont été fermées, faisant chuter le taux d’Afghanes scolarisées. Près de vingt ans plus tard, elles sont près de 40% à pouvoir accéder à l’éducation, une belle progression pour ce pays qui ne semble pas connaître de répit, tiraillé entre guerres, pauvreté, conflits religieux et conflits politiques.
Cette belle progression n’enlève en rien la dimension de combat liée à la volonté de scolariser ces filles et jeunes filles. Si, à la chute du régime Taliban, le gouvernement afghan a lancé un grand plan de relance pour la scolarisation des filles – appelé « Back to school » – les associations constatent désormais un désintérêt certain des autorités pour cette cause, et des conditions d’accès à l’éducation toujours fragiles.
S’il est difficile de s’accorder sur les chiffres, les observateurs internationaux font néanmoins tous le même constat : plusieurs millions de petites filles et de jeunes filles sont toujours privées d’éducation
Les écoles et les établissements qui accueillent les jeunes afghanes sont très souvent la cible de représailles (écoles brûlées, matériel vandalisé, etc.) : en 2018, 200 écoles ont été attaquées à travers le pays. La détérioration fréquente des écoles n’est pas le seul obstacle qui se dresse entre les Afghanes et l’éducation. En effet, comme le souligne notamment une étude de l’ONG Human Rights Watch, l’éducation des filles est menacée par de multiples facteurs : les mariages forcés, dès le plus jeune âge, qui stoppent net une scolarisation, le harcèlement de rue sur le trajet pour l’école, ou encore le travail au détriment de l’école au sein des familles les plus démunies.
Sans compter l’immense pauvreté dans laquelle se trouvent de nombreuses régions rurales du pays, entraînant une absence d’infrastructures pour l’enseignement. Les kidnappings, le harcèlement sexuel ainsi que l’hostilité d’une partie de la population face à l’éducation des filles, sont aussi monnaie courante.
S’il est difficile de s’accorder sur les chiffres, les observateurs internationaux font néanmoins tous le même constat : plusieurs millions de petites filles et de jeunes filles sont toujours privées d’éducation, et de nombreuses associations et ONG sont à pied d’œuvre pour réduire ces inégalités et donner toujours plus de chance aux Afghanes de pouvoir suivre une scolarité.
C’est notamment le cas de l’association Ofarin, qui signifie « beau travail », créée par un couple d’Allemands – Peter et Annemarie Schwittek – en 1996, et grâce à qui plus de 9 000 élèves (chiffres de 2017), réussissent à suivre une scolarité, dont une majorité de filles.
Un projet qui tient compte des codes du pays et intègre la population locale
Si l’association Ofarin réussit à scolariser des Afghanes depuis plus de vingt ans, c’est notamment parce que ses fondateurs ont su prendre en compte les contraintes traditionnelles et sociétales du pays, en invitant les autorités religieuses locales à participer pleinement au projet, évitant de ce fait une hostilité trop forte de la part de la population. Ainsi, les mollahs – chef religieux -de chaque ville ou village dans lesquels Ofarin est active, sont parties prenantes du projet et facilitent le travail de l’association. Et dès 1998, en plein régime Taliban, les fondateurs ont pu organiser leurs premiers cours au sein de mosquées de Kaboul, et des provinces de Logar et Wardak, scolarisant ainsi plus de 10 000 enfants, dont la moitié de filles.
A la chute des Talibans, Ofarin a maintenu son action en conservant l’école au sein des mosquées, mais en étendant également le concept aux résidences privées, sur la base du bénévolat de la population. L’association a également signé un partenariat avec le ministère des Affaires religieuses afghan, toujours dans la perspective de faire participer pleinement les autorités locales et de se donner toutes les chances d’être acceptée par l’opinion publique. Comme le souligne l’association elle-même : « Si vous souhaitez impulser un changement en Afghanistan, vous devez travailler main dans la main avec les mollahs ». Ofarin serait la seule association à ce jour à avoir noué des liens de proximité si forts avec les autorités religieuses.
Des programmes scolaires innovants
Les programmes scolaires imaginés par Ofarin se revendiquent comme innovants, et très appréciés de la population. Selon l’association, les programmes sont créés dans le but d’apporter aux filles et aux jeunes filles une dimension de développement personnel, au-delà de la poursuite d’un cursus à proprement parler. Ofarin a construit ses programmes scolaires pour encourager les enfants à se dépasser et à apprendre en continu, « si les étudiants sont capables d’additionner deux chiffres entre eux, ils seront capables d’en additionner trois, puis quatre (…), c’est dans cette philosophie que sont déroulés les programmes », précise l’association.
A la chute des Talibans, Ofarin a maintenu son action en conservant l’école au sein des mosquées, mais en étendant également le concept aux résidences privées, sur la base du bénévolat de la population
Les cours dispensés par Ofarin ne suivent pas les cursus établis par le système scolaire afghan (primaire, secondaire, etc.), car l’association estime que le système scolaire du pays présente de nombreuses lacunes, et qu’aller à l’école ne garantit pas pour autant un apprentissage suffisant et satisfaisant. Par exemple, d’après Ofarin, il n’est pas rare que les élèves qui passent en niveau secondaire aient du mal à déchiffrer des textes ou à réaliser des soustractions ou multiplications simples. Pour toutes ces raisons, Ofarin construit ses propres programmes d’éducation et notamment le « pre-school program » qui prévoit des cours d’alphabétisation, d’écriture et de grammaire, permettant aux jeunes filles d’améliorer la maîtrise de leur langue maternelle et de la pratiquer correctement. Les bases des mathématiques sont également enseignées, ainsi que l’éducation religieuse, dispensée par les mollahs qui accueillent les cours au sein de leurs mosquées.
L’association capitalise depuis des années sur les programmes qu’elle imagine et la matière pédagogique qui en découle, et travaille à l’extension de son enseignement vers un programme scolaire de niveau primaire, pour permettre aux élèves d’acquérir de « solides bases permettant d’être autonome dans la vie de tous les jours ».
La démarche pédagogique d’Ofarin n’est donc pas calquée sur ce qui est prévu par le système scolaire du pays, et s’adapte aux contraintes réelles des populations et aux besoins les plus urgents des jeunes filles afghanes, à savoir : maîtriser les bases de leur langue et les bases d’algèbre pour s’assurer une autonomie au jour le jour.
Le programme de l’association peut aussi être un tremplin pour certaines jeunes filles qui ont l’opportunité de pouvoir poursuivre leur scolarité sur le long terme et de façon régulière. Un reportage Arte dédié à l’association et tourné en 2017, disponible en ligne, met en lumière le fait qu’une partie des enseignantes qui travaillent pour Ofarin sont d’anciennes élèves de l’association. Car c’est aussi ce qui fait la force d’Ofarin : avoir une communauté solide, convaincue de l’utilité du projet et heureuse de pouvoir le faire perdurer. Ainsi, il n’est pas rare de voir des jeunes femmes enseignantes dispenser des cours pour les élèves d’Ofarin, y compris quand les fonds de l’association viennent à manquer et qu’il n’est pas toujours possible d’honorer les salaires.
Bien que de nombreux donateurs internationaux se soient retirés d’Afghanistan en raison d’une situation économique et politique toujours plus instable, les associations comme Ofarin se battent coûte que coûte pour poursuivre leur action, et peuvent compter sur l’implication et l’engagement des partenaires locaux et des bénévoles afghans (enseignants, coordinateurs, etc.) qui œuvrent au quotidien pour maintenir et encourager l’éducation des filles.
A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.
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