Confinement : les personnes sans-abri, « oubliées » de la crise ?
par Laura Boudoux
29 avril 2020

Face à l’épidémie du Covid-19, ils sont les “oubliés”, les “invisibles”. Les personnes sans-abri affrontent une situation de danger sans précédent, du fait de leur santé fragile, d’un accès difficile à la nourriture, d’hébergements précaires. Malgré des réactions tardives de l’Etat, les associations s’organisent au mieux pour leurs venir en aide, et les protéger du virus.

Alors même qu’on les sait plus vulnérables face au virus du Covid-19, les personnes sans-abri sont les “grands oubliés” de la crise sanitaire. Bien souvent, leur situation précaire a pour conséquence l’apparition de comorbidités (les maladies et troubles s’ajoutant à une maladie primaire), et les rend plus vulnérables. “Les personnes sans-abri ont entre 10 et 15 ans de plus que leur âge réel, leur corps ayant subi une situation de rue pendant plusieurs années”, explique ainsi Guillaume Chéruy, de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).

Quant aux migrants, ils affrontent depuis novembre 2019 un délai de carence de trois mois avant d’avoir accès aux soins. “Cela signe un recul sans précédent”, dénonce Corinne Torre, cheffe de mission pour Médecins sans frontières (MSF) en France. “Des années de politique d’exclusion et d’invisibilisation ont relégué ces personnes à la marge des aides accessibles à la population générale. Elles ont souvent une santé fragilisée par leurs conditions de vie, le non-accueil, et des parcours migratoires violents”, détaille-t-elle.

L’accès à la nourriture compromis

La mendicité, qui permet habituellement aux sans-abri de subvenir “à leurs besoins les plus élémentaires”, est devenue quasiment impossible depuis le début du confinement. “Il n’y a plus personne dans les rues, et en plus ils se font verbaliser, car certains membres des forces de l’ordre estiment qu’ils ne respectent pas les règles”, explique Guillaume Chéruy.

Leur isolement est d’autant plus grand que les lieux dédiés à leur hygiène et aux distributions alimentaires ont été nombreux à suspendre leur accueil. “Les structures de jour et les sanisettes des grandes villes ont fermé, ce qui les empêchent de prendre des douches et de se laver les mains. Tout cela a des conséquences sur leur santé, et leur alimentation”, regrette Guillaume Chéruy.

“Faute de préparation de l’État dans le secteur”, les services de maraudes, d’accueil de jour, et les points de distribution alimentaire ont pour beaucoup disparu, pratiquement du jour au lendemain. “La conséquence est grave, parce que l’on sait que la plupart de ces personnes sont des enfants, qui se retrouvent en situation d’insécurité alimentaire sévère. Cette notion, définie par l’OMS, désigne les conséquences néfastes d’un manque d’alimentation sur la santé”, explique Guillaume Chéruy, précisant qu’en novembre 2019, “on comptait 700 enfants laissés à la rue chaque soir au Samu social de Paris”. Il se veut tout de même rassurant, lorsqu’il souligne que “la mobilisation des associations et la mutualisation des acteurs du secteur a permis à des équipes inter-associatives de se composer”. Utopia 56 a ainsi pu intensifier son service de maraudes dans plusieurs villes de France, afin d’aller à la rencontre des migrants et réfugiés de la rue.

Très inquiet au début de la crise sanitaire, Guillaume Chéruy explique que la nourriture ne manque pas, notamment grâce aux dons des particuliers et des restaurateurs. Le Samu Social récupère ainsi les tickets resto de volontaires pour les redistribuer aux sans-abri, quand Les Restos du Coeur ont de leur côté pris l’habitude de travailler directement avec les restaurateurs, déterminés à fournir aux personnes qui en ont besoin des repas complets. Françoise Haouzi, la responsable des dons et des collectes à Paris salue ainsi « un formidable élan de solidarité ». L’Etat a également annoncé la création d’un budget de 15 millions d’Euros dédié à l’aide alimentaire des personnes sans-abri, sous la forme de chèques-service gérés par les associations comme la Fondation Abbé Pierre, ou encore le Secours populaire. Ils représentent une aide financière de 7€ par jour et par personne, pour 60 000 sans-abri.

Le manque de matériel pointé du doigt malgré l’aide de nombreuses associations

C’est bien le manque de ressources, humaines et matérielles, qui est aujourd’hui pointé du doigt par les acteurs sociaux et paramédicaux. Tests de dépistages insuffisants, et absence de masques et de gants : “le secteur social a été mis de côté” au moment de la distribution du matériel. “Les salariés du secteur Accueil Hébergement Insertion ne sont pas prioritaires, alors que les personnes sans-abri sont aussi vulnérables que les personnes âgées. Le personnel se met autant en danger que le personnel de santé et on les envoie au front sans aucune protection”, martèle Guillaume Chéruy, se désolant “d’entendre qu’une nouvelle fois, le secteur social est la cinquième roue du carrosse”.

“Les enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui concernent les dépistages, la mise à l’abri des personnes à la rue, et le matériel mis à disposition”, confirme Corinne Torre. “Il faut augmenter les capacités de dépistage pour confirmer certains diagnostics grâce à des tests, en particulier pour les personnes les plus à risque de développer des formes sévères”, exige-t-elle. Pour le moment, et selon les recommandations de l’Agence Régionale de Santé (ARS), seuls les trois premiers patients présentant des symptômes du COVID-19 sont testés au sein de chaque hébergement collectif. Sachant qu’il faut attendre près de 48 heures pour obtenir les résultats, “la propagation du virus peut être rapide”, déplore Corinne Torre. “En pratiquant des prélèvements en clinique mobile, nous n’avons aucun moyen de retrouver les personnes testées après 48h. La France prend donc le risque, en laissant ces personnes à la rue, de participer à la propagation du virus”, souligne-t-elle.

“Les employés et volontaires du secteur sont désabusés par le manque de considération de l’Etat. Cela génère beaucoup de frustration, on risque un mouvement de colère”, prévient Guillaume Chéruy. Une augmentation du nombre de retraits a d’ores et déjà été constatée, les effectifs étant réduits de 40% à 60% au sein des associations, “qui fonctionnent en mode dégradé”. Si les aides officielles tardent parfois à venir, de nombreuses initiatives citoyennes ont été mises en place pour soutenir les associations et les personnes à la rue. L’application Entourage permet par exemple de recenser les besoins des personnes sans-abri, grâce à un système de géolocalisation. Les citoyens peuvent alors aller à leur rencontre, et leur offrir un ticket restaurant, un masque, du gel hydro-alcoolique, ou un repas.

Sur La Cloche, les commerçants solidaires souhaitant aider les personnes sans-abri, en mettant à disposition leurs toilettes, ou encore en rechargeant les téléphones, sont répertoriés ville par ville. Sur le site Soliguide, les services et initiatives à destination des personnes à la rue sont également référencées, à travers cinq départements français.

Des hébergements souvent inadaptés

Pour Guillaume Chéruy, la situation dans laquelle se retrouvent aujourd’hui les personnes sans-abri est la conséquence directe de “la manière dont sont menées les politiques publiques depuis un certain nombre d’années, et qui visent à ne pas pourvoir à l’hébergement de toutes les personnes qui expriment la demande d’être logées”.

Certaines initiatives ont tout de même été mises en place par le gouvernement et les communes. Faute de touristes, des hôtels ont ainsi mis à disposition des chambres pour accueillir des personnes sans-abri. “C’est une grosse mobilisation de l’Etat, et si l’hôtel n’est habituellement pas adapté aux situations des SDF, là il le devient puisque les chambres permettent de les confiner plus facilement”, reconnaît Guillaume Chéruy.

Dans chaque région, un ou plusieurs centres d’hébergement sanitaire, qui prennent notamment la forme de gymnases, ont également ouvert. “Ils ne sont pas satisfaisants, car leur ouverture a été beaucoup trop longue, et les personnes sans-abri ont été laissées à la rue sans aucun soutien face au Covid-19. Ces locaux ne sont pas adaptés, ni à l’hébergement des sans-abri, ni au respect des normes sanitaires et des gestes barrières”, dénonce Guillaume Chéruy. “Il y est généralement difficile d’assurer l’isolement d’une personne susceptible d’être infectée”, confirme Corinne Torre. “Les personnes qui y travaillent doivent se voir fournir les moyens et le matériel de protection nécessaires afin que ces lieux ne deviennent pas de nouveaux foyers de contamination”, prévient de son côté Corinne Torre, craignant de voir ces lieux se transformer en “nouveaux foyers de contamination”.

Enfin, dans certaines régions, des réquisitions de bâtiments ont été effectuées sur la demande des maires et préfets. “Malheureusement ils n’appliquent pas assez souvent leur droit de réquisition pour héberger des personnes sans-abri, alors que c’est institué dans la loi. C’est dommage de constater qu’il faut une crise sanitaire pour que les intéressés usent de ce droit”, remarque Guillaume Chéruy.  

“Il faudra tirer les conclusions de cette crise. Nous sommes les oubliés, les moins prévenus, les moins aidés. Aujourd’hui, on se pose la question : comment voulez-vous que notre secteur professionnel s’occupe des personnes vulnérables, quand tout est fait pour vulnérabiliser les professionnels du secteur ?”, conclut-il.

 


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