Convention d’Istanbul et lutte contre les violences faites aux femmes dans le monde : où en est-on ?
par Camille Studer
23 septembre 2020
Dans son rapport 2019 sur les objectifs de développement durable, l’ONU indique que, si la condition des femmes dans le monde tend globalement à s’améliorer (moins de mariages forcés, plus de femmes occupant des postes à haute responsabilité, etc.), les violences dirigées contre les femmes occupent toujours une place trop importante dans les statistiques. Selon ce rapport, 18% des femmes âgées de 15 à 49 ans auraient subi des violences physiques ou sexuelles. De plus, dans certains pays, les droits des femmes semblent se réduire d’année en année, au grès des gouvernements et au nom de traditions et de valeurs familiales. Ainsi, des nations qui avaient pourtant engagé un début de lutte contre les violences faites aux femmes souhaitent aujourd’hui faire marche arrière. C’est notamment le cas de la Pologne, qui, par la voix de son ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, a annoncé, le 25 juillet dernier, son souhait de se retirer de la Convention d’Istanbul. La Convention d’Istanbul, signée par tous les membres du Conseil de l’Europe – hors Russie et Azerbaïdjan – en 2011 a pour objectif d’apporter un cadre juridique concret pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes. Ce qui ne semble plus être au goût de la Pologne, qui estime que ce texte contient « des éléments de nature idéologique » considérés comme « nuisibles »pour le bon fonctionnement de la société polonaise. Si cette déclaration de la Pologne a fait grand bruit cet été, ce n’est pas le seul pays qui semble en passe de régresser en matière de droits des femmes. La Turquie n’est pas en reste sur ce sujet, puisqu’ Ankara envisage aussi de se retirer de la Convention d’Istanbul, qui divise le pays. En effet, de nombreuses organisations et médias conservateurs, ainsi que le parti au pouvoir – l’AKP – s’insurgent contre ce texte jugé incompatible avec les valeurs familiales turques. L’importance des droits des femmes et la nécessité de lutter efficacement contre les violences domestiques ne fait donc pas l’unanimité et la route vers une amélioration tangible et pérenne est encore longue pour certaines nations. Si la cause des femmes n’est pas acquise à tous, elle est en revanche au cœur de nombreuses luttes et initiatives portées par la société civile, qui se bat coûte que coûte pour faire entendre sa voix et imagine des solutions pour pallier le manque de dispositifs et l’absence de cadre juridique dans certains pays.  
Si cette déclaration de la Pologne a fait grand bruit cet été, ce n’est pas le seul pays qui semble en passe de régresser en matière de droits des femmes. La Turquie n’est pas en reste sur ce sujet, puisqu’Ankara envisage aussi de se retirer de la Convention d’Istanbul, qui divise le pays.
 

Une marge de progression encore trop importante

L’exemple de la Pologne ou de la Turquie n’en est qu’un parmi d’autres, et bon nombre de pays ont encore une belle marge de progression avant que les voyants de leurs politiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes passent au vert. Comme en Russie, où, d’après le centre ANNA, première association Russe créée en 1993 pour venir en aide aux victimes, toutes les soixante-trois minutes une femme meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint, soit près de 8 300 femmes par an. A l’instar de la Pologne ou de la Turquie, la condition de la femme, et plus généralement les droits des femmes, sembleraient incompatibles avec les valeurs familiales et les traditions en place dans le pays. Ainsi, en 2017, la sénatrice Elena Mizoulina – membre du parti Le Choix Russe – a grandement œuvré pour la dépénalisation des violences domestiques, en demandant, entre autres, la suppression de l’expression « agression domestique » du Code pénal russe. Elena Mizoulina avait alors précisé que les femmes étaient des « êtres faibles », qui ne devraient pas « se vexer »quand on les bat. La sénatrice est également, avec quatre autres femmes, à l’initiative d’un projet de loi permettant d’alléger les peines en cas de violence conjugale. Cette loi a été adoptée par 380 voix, contre trois absentions seulement, et vise à préserver l’institution que représente le foyer familial russe, en supprimant toute possibilité pour les femmes victimes de violences conjugales de s’exprimer et d’être entendues. Rappelons également que la Russie est le seul pays, avec l’Azerbaïdjan, à ne pas avoir signé ni ratifié la Convention d’Istanbul. La Hongrie aussi fait partie des mauvais élèves. En 2010, le Chef du gouvernement Viktor Orban supprimait la commission en charge de l’égalité entre les sexes, là encore, au nom des valeurs traditionnelles et familiales hongroises. Le Premier ministre a également intégré la notion de sexisme dans les manuels scolaires, et les élèves hongrois doivent désormais apprendre que hommes et femmes n’ont pas les « mêmes capacités physiques et aptitudes intellectuelles ». L’égalité homme-femme ne semble donc pas avoir voix au chapitre dans ce pays, qui revendique également des valeurs traditionalistes fortes. Quant à la Convention d’Istanbul, si la Hongrie a bien signé le traité, elle ne l’a cependant toujours pas ratifié, et cela ne semble pas faire partie de ses priorités puisque le 05 mai dernier, le Parlement hongrois a adopté une déclaration défavorable à la ratification du traité. Si ces pays – et tant d’autres comme la Chine, l’Arabie Saoudite, etc. – campent sur leurs positions et refusent de faire un pas en avant dans la lutte contre les violences faites aux femmes, la société civile elle aussi s’organise pour peser dans le débat public et tenter de faire bouger les lignes.  

La société civile fait front

On ne compte plus le nombre d’associations, ONG et autres organismes qui s’insurgent contre la régression des droits des femmes, et qui alertent sur la gravité de la situation dans certains pays et l’urgence d’initier un changement. En Pologne, le Centre pour les droits des femmes, créé par Urszula Nowakowska en 1994, apporte son soutien aux femmes victimes de violences, et ce, même si l’association ne bénéficie plus du financement de l’État depuis des années. L’Association Défense de la Démocratie en Pologne (ADDP) quant à elle, a été créée par Agnieszka Grudzinska en 2016, en réponse à l’arrivée au pouvoir du parti conservateur et nationaliste PIS, en 2015. L’ADDP opère depuis Paris et milite pour que les droits fondamentaux soient respectés en Pologne ; si l’ADDP milite d’abord pour le droit à l’avortement, c’est la cause des femmes au sens large qui est défendue par l’association.  
En Pologne, le Centre pour les droits des femmes, créé par Urszula Nowakowska en 1994, apporte son soutien aux femmes victimes de violences, et ce, même si l’association ne bénéficie plus du financement de l’État depuis des années
  En Hongrie, les ONG Patent et Nane occupent très activement le terrain de la lutte contre les violences faites aux femmes. Respectivement dirigées par Julia Spronz et Gyorgyi Toth, ces deux ONG fournissent à la fois une écoute psychologique pour les femmes victimes de violences, mais également une assistance juridique. L’association Nane a aussi mis en place un dispositif de helpline, qui comptabilise un peu plus de 2 000 appels chaque année. Côté Patent, l’ONG participe à la rédaction de projets de loi en faveur des droits des femmes, et réalise de nombreuses campagnes de lobbying pour se faire entendre au sein de la communauté politique du pays. En Russie, ce sont trois figures féminines qui se distinguent particulièrement dans leur combat contre les violences faites aux femmes. Il y a d’abord Anna Rivina, la fondatrice de la plateforme nasiliu.net, plateforme qui permet à la fois de signaler des cas de violences et également de porter assistance aux femmes victimes d’abus. Il y a ensuite Marina Pisklakova-Parker, qui a créé l’association ANNA (Association No To Violence). Avec ANNA, Marina Pisklakova-Parker propose des programmes d’accompagnement pour les femmes victimes de violence (conseils juridiques, soutien psychologique, etc.). Elle est aussi à l’origine de la création de la première helplinedestinée aux femmes russes en détresse. Depuis 1993, ANNA s’étend aujourd’hui à travers la Russie avec plus de 40 antennes locales. Enfin, Alena Popova, avocate et personnalité publique très populaire en Russie, est à l’origine de nombreux projets humanitaires dont le Protect Women Project, lancé en 2013. Elle est également co-auteure de la loi pour la prévention des violences domestiques.  

L’espoir encore et toujours présent

Si le combat pour garantir des droits fondamentaux aux femmes et pour pénaliser les violences dont elles sont victimes est loin d’être terminé, certaines avancées se dessinent, y compris là où on ne les attend pas. En Turquie par exemple, la Women and Democracy Association (Kadem), puissant lobby de femmes conservatrices dont la Vice-Présidente n’est autre que la fille du Président Erdogan, s’est récemment officiellement prononcée en faveur de la Convention d’Istanbul. La Kadem a indiqué que la Convention d’Istanbul représentait « le premier document international permettant de disposer d’un cadre juridique pour lutter contre tous les types de violences faites aux femmes ». Cette prise de position inattendue a suscité surprise et émoi parmi la communauté d’activistes et d’opposants au gouvernement, et il y a fort à parier que le soutien de la Kadem permette de donner un coup d’accélérateur à la lutte contre les violences faites aux femmes dans le pays. Les lignes commencent aussi à bouger timidement en Russie. En effet, entre 2018 et 2020, le Conseil de l’Europe a initié un programme en coopération avec le ministère du Travail et de la protection sociale russe, avec l’objectif de parvenir à décliner au niveau fédéral un plan de protection sociale de lutte contre les violences domestiques.  
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