Jeux vidéo : Où sont les femmes ?
par Rémi Lévêque
7 octobre 2021

Avec plus de 36 millions d’adeptes en France, le jeu vidéo est devenu un loisir incontournable pour la moitié des français. Sur ordinateur, console ou téléphone, beaucoup de joueurs trouvent dans les divertissements vidéoludiques une source d’amusement, d’aventure et d’échange. Longtemps cantonné à un public de niche, le jeu vidéo a su séduire au fil des années de nombreux inconditionnels avec une offre diversifiée et une force de frappe économique florissante. Malgré sa forte popularité, le monde du jeu vidéo est régulièrement pointé du doigt pour son manque d’inclusivité. Du peu d’avatars féminins forts, en passant par une sous-représentation des femmes dans les métiers vidéoludiques, jusqu’aux harcèlements de ces dernières par certains groupes de joueurs ou de développeurs, le secteur du jeu vidéo est encore loin d’être un modèle d’inclusion.

 

Une représentation difficile en tant que joueuse

Longtemps perçus comme un loisir majoritairement masculin, les jeux vidéo attirent de plus en plus un public féminin. Selon le bilan annuel du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, la part actuelle des femmes dans les joueurs réguliers représente aujourd’hui plus de 51 %. Malgré le fait que ces dernières soient majoritaires, elles restent largement sous représentées en tant que personnages dans les jeux grand public.

Pour illustrer cette réalité, la journaliste Madeline Messer de The Washington Post a réalisé une enquête sur la représentation des personnages féminins dans les jeux mobiles en 2015 et les résultats sont sans appel. Parmi les 50 jeux les plus populaires sur mobile, 98% de ceux comportant des personnages identifiables par leur sexe présentaient des protagonistes masculins jouables gratuitement. Au contraire, seulement 46 % de ces jeux proposaient aux joueurs d’incarner des personnages féminins et, dans 85 % des cas, il fallait débourser en moyenne 7.53 dollars pour pouvoir les incarner. Soit, en moyenne, un prix plus élevé que le jeu en question.

La représentation des personnages féminins dans les jeux vidéo reflète également, de manière récurrente, un sexisme latent : de l’hypersexualisation (Lara Croft dans Tomb Rider), en passant par le stéréotype de « la demoiselle en détresse » (Princesse Peach dans les jeux Mario ou Princesse Zelda dans les jeux éponymes). Une étude de 2016 portant sur 571 jeux sortis entre 1984 et 2014 a révélé que la sexualisation des personnages féminins était à son apogée entre 1990 et 2005, puis a décliné de manière significative. Cela s’explique notamment par la proportion toujours plus importante des joueuses dans le public cible des éditeurs.

Certaines études ont également montré que la représentation des genres dans les jeux vidéo avait un impact direct sur la perception de ces derniers dans la réalité. Ainsi, dans l’une d’entre elles menée en 2017 sur 1266 joueurs par Quantic Foundry, les résultats indiquent que 89 % des joueuses et 65 % des joueurs considéraient la présence de protagonistes féminins dans les jeux vidéo comme extrêmement importante. Dans la réalité, même si cet équilibrage reste laborieux, certains studios ont pris les devants et proposent désormais des héroïnes loin des stéréotypes comme Naughty Dog avec le personnage d’Ellie dans The Last of Us 2, Guerilla Games avec le personnage d’Aloy dans Horizon Zero Dawn ou encore Ninja Theory avec le personnage de Senua dans la série de jeux Hellblade.

 

Les métiers du jeu vidéo toujours hermétiques au changement

Si la représentation des personnages féminins semble évoluer avec l’apparition de nouvelles licences plus inclusives, les métiers du jeu vidéo sont, eux, toujours aussi masculins. Alors même qu’elles représentent plus de la moitié des joueurs, les femmes sont peu présentes dans les métiers de production (14%) et sont souvent dirigées implicitement vers des métiers moins techniques. Même si les chiffres s’améliorent (en 1989, le magazine américain Variety évaluait la proportion de femmes dans l’industrie vidéoludique à 3 %), la progression reste trop lente par rapport à d’autres corps de métiers.

Cette grande disparité s’explique principalement par un conditionnement dès le plus jeune âge des filles. Ce phénomène social appelé « effet Pygmalion » montre que plus nous sommes encouragés dans un domaine spécifique, plus notre confiance en la réussite dans ce domaine s’accroît. Au contraire, « l’effet Golem », lui, indique que des attentes peu élevées sur un individu risque d’engendrer chez lui des performances moindres.

Pour combattre ce conditionnement, un travail de fond est donc nécessaire pour la plupart des acteurs du milieu surtout au sein des écoles de jeux vidéo où les femmes n’occupent que 20 % des places. Le but primordial étant d’identifier les stéréotypes et les freins professionnels que les femmes rencontrent au travers de leurs parcours pour permettre une meilleure insertion dans cette industrie.

 

La misogynie encore ancrée dans la communauté des joueurs

Un des freins importants qui empêche l’inclusion des femmes est le sexisme qui gangrène toujours une partie de la communauté des adeptes de jeux vidéo. Sept ans après l’affaire du Gamergate, qui avait vu surgir des campagnes de harcèlement violentes contre des développeuses, journalistes ou simples joueuses menées par des joueurs proches de 4Chan et de l’alt-right américaine, la misogynie dans le milieu subsiste encore.

Après Riot Games et Ubisoft (deux des éditeurs majeurs de jeux vidéo), c’est au tour d’Activision Blizzard, autre mastodonte du milieu, d’être accusé d’avoir favorisé une culture du harcèlement sur fond d’inégalités dans la gestion des carrières. Les témoignages dépeignent notamment « des employés masculins arrivant fièrement saouls au travail, jouant aux jeux vidéo durant de longues périodes pendant leurs heures de bureau et déléguant leur travail à des femmes. Ils plaisantent sur leurs relations sexuelles, parlent ouvertement du corps des femmes et blaguent sur le viol ». Les cadres dirigeants ont aussi été mis en cause pour avoir protégé de tels comportements en interne ou pour avoir eux-mêmes participé.

Un autre événement récent illustre à quel point le sexisme demeure ancré dans certaines communautés de joueurs. Dans le jeu The Last of Us 2 développé par le studio américain Naughty Dog, les deux personnages jouables sont aux antipodes des standards masculins.

L’héroïne, Ellie, est ouvertement homosexuelle et Abby est quant à elle représentée à l’opposé des standards d’hypersexualisation habituels (habits non genrés, musculature saillante, peu ou pas de formes). Le studio Naughty Dog et plus particulièrement le directeur du jeu Neil Druckmann, ont depuis longtemps la volonté de changer les stéréotypes inhérents aux clichés vidéoludiques.

Ces prises de risques ont été saluées par une majeure partie des joueurs et des professionnels mais une partie de la communauté, très proche des instigateurs du Gamergate, ont appelé au boycott du jeu et du studio pour « Rainbow propaganda ». Pour eux, The Last Of Us 2 n’est qu’un outil de propagande visant à faire la promotion d’idéologies qui n’ont rien à faire dans le jeu vidéo. Et leurs méthodes n’ont pas évolué depuis l’affaire du Gamergate : harcèlement, campagne virale de décrédibilisation, voire de calomnie en ligne.

 

Women in Games France : une association qui lutte pour l’inclusion des femmes dans le milieu du jeu vidéo

Afin d’accompagner cette dynamique d’inclusion féminine dans le milieu des jeux vidéo, plusieurs initiatives existent comme celle de Women In Games France. Cette association créée en 2017 par plusieurs acteurs du domaine vidéoludique (développeuses, programmeuses, chargées de communication…) défend une plus grande mixité de genre dans l’industrie. Pour Morgane Falaize, la présidente de l’association depuis 2021 : « L’objectif lors de la création de l’association était de doubler la part des femmes dans les métiers du jeu vidéo en 10 ans. Quatre ans après, on sait déjà que cet objectif sera très difficile à tenir mais nous redoublons d’efforts pour faire avancer les consciences ».

Pour cela, Women in Games France s’est fixé trois objectifs. Le premier est d’aider au développement professionnel des femmes et personnes non genrées qui désirent s’investir dans des métiers du jeu vidéo. En proposant des ressources comme des guides, des chartes déontologiques ou des formations dispensées par des professionnels du milieu (pour le code informatique par exemple) l’association veut montrer que les métiers techniques ne sont pas réservés exclusivement aux hommes.

Grâce à la formation, le deuxième objectif est de donner plus de visibilité aux profils féminins dans l’industrie en donnant aux femmes plus de responsabilités dans le processus créatif des jeux vidéo.

Le troisième objectif passe par la sensibilisation au sein des écoles de jeux vidéo. Une charte visant à encourager la mixité est ainsi élaborée en 2019 par le CNC et les représentants des principaux acteurs du jeu vidéo français (entreprises, écoles, SELL, SNJV, indépendants…). Cette dernière s’appuie sur 7 points clés incluant la prévention de toute forme de discrimination, de violence / harcèlement, ou de fragilisation liée au genre / à l’orientation sexuelle, le développement de statistiques homme/femme ou encore la promotion de l’égalité et des dispositifs en place pour favoriser une plus grande inclusion.

Pour l’association et sa présidente, les efforts commencent à porter leurs fruits : « On sent de plus en plus dans les écoles de jeux vidéo un fort engagement féministe avec des filles qui sont déterminées à faire leur métier et casser les stéréotypes ». Il est pourtant encore trop tôt pour crier victoire selon Morgane Falaize : « Notre objectif sera atteint quand notre association n’aura plus besoin d’exister. Ce combat que nous menons pour l’inclusivité dans le jeu vidéo est encore long mais nous espérons qu’un jour la mixité totale soit effective et que nous puissions nous concentrer uniquement sur notre métier et notre passion : le jeu vidéo »

 


A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.

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