La Cité des Dames, un centre pour mettre en lumière les femmes sans-abri
par Laura Boudoux
25 février 2020

De jour comme de nuit, les portes du bâtiment situé dans le 13ème arrondissement restent ouvertes aux femmes sans-abri. La Cité des Dames les accueille, et leur offre un soutien social et médical inconditionnel depuis le 1er décembre 2018. Un centre unique en France, pour que celles que l’on appelle “les invisibles” soient enfin prises en considération.


Si Louis-Julien Petit les a surnommées “Les Invisibles” dans son film sorti en 2018, c’est parce que trop souvent, les femmes sans-abri sont ignorées, et obligées de se cacher pour fuir la violence de la rue. Ici, on les appelle les “dames”, et elles sont au coeur de l’attention.

Dans la “cité” qui leur est dédiée, elles vont et viennent comme bon leur semble, sans que leur accueil ne soit conditionné par les repas, l’heure des douches, ou l’hébergement de nuit. Ici, c’est la Cité des Dames, un centre d’accueil exclusivement réservé aux femmes, ouvert 24h/24, et 7J/7. Une initiative nécessaire, prise par l’Armée du Salut en collaboration avec l’ADSF (Association pour le Développement de la Santé des Femmes), pour aider les femmes SDF à sortir de l’invisibilité. “Le fait qu’il n’y ait pas d’horaires change vraiment la vie des femmes… Elle peuvent, par errance la nuit, avoir besoin de se reposer en journée et trouver un lieu serein n’est pas évident. Il manque aussi clairement d’accueil pour les femmes le week-end”, assure Nadège Passereau, déléguée générale de l’ADSF.

En plus de fonctionner soit en horaires de jour, soit la nuit, la majorité des structures en France sont mixtes, ou à destination des familles. “Il manque des structures à destination des femmes seules isolées. Dans le cas des centres pratiquant la mixité, on constate qu’il y a 60% d’hommes, contre 40% de femmes. Cela peut être très inconvenant et malaisant pour elles, et elles finissent par ne plus s’y rendre, car elles ne se sentent pas en sécurité”, déplore Nadège Passereau.

Dans la “cité” qui leur est dédiée, elles vont et viennent comme bon leur semble, sans que leur accueil ne soit conditionné par les repas, l’heure des douches, ou l’hébergement de nuit.

Quant aux centres destinés aux familles, ils tiennent eux aussi, parfois malgré eux, les femmes seules à l’écart. “Derrière le mot “famille”, on a toujours mis les femmes, mais elles existent aussi en tant qu’individu, et elles n’ont pas des enfants toute leur vie. Il faut pouvoir les prendre en charge avant, après, et même lorsqu’elles vivent des situations dramatiques, au cours desquelles on leurs retire la garde de leur.s enfant.s”, constate Nadège Passereau.

Une prise en charge médicale indispensable

En plus d’être en nombre insuffisant, et souvent non-adaptées aux besoins des femmes, les structures d’accueil omettent souvent d’intégrer une politique médicale à leur fonctionnement. “La prise de conscience, sur le fait que les femmes n’ont pas les mêmes besoins que les hommes commence à se faire dans la société. Pour l’aide aux femmes, le volet santé était inexistant, alors même qu’il est assez prépondérant, et cela en parti parce que le sujet de la santé des femmes est réduit. On pense en effet tout de suite à la maternité, alors que les femmes, dans toute la complexité d’une vie dans la rue, vont souvent vivre des parcours de violences de tout ordre, avec des impacts sur leur santé physique et psychologique.”, explique la déléguée générale.

À la Cité des Dames, l’accompagnement est bien social, mais aussi médical et psychologique, et se traduit par la présence de travailleurs sociaux, de psychologues, et de sages-femmes. “Dans l’aide aux plus démunis, la France a organisé un accueil très orienté sur la problématique des papiers administratifs, du suivi social, du lien social, etc. La présence des sages-femmes est ici pertinente, puisqu’elles peuvent réaliser les premières évaluations médicales, et même aller au-delà, avec les dépistages (MST, cancer du col de l’utérus, etc.), qui sont souvent oubliés par le système de santé”, analyse Nadège Passereau.

Renouer avec soi-même pour recréer du lien

À toute cette équipe, s’ajoutent aussi celles que l’on appelle les “femmes repères”, et qui ont souvent le même parcours que les dames qu’elles aident aujourd’hui. “Ce sont des femmes que l’on a rencontrées dans le même contexte, qui partagent la culture, la langue, et très fréquemment le parcours des femmes sans-abri que l’on accueille. Elles sont dans une logique de stabilisation, voire d’insertion”, explique Nadège Passereau. Ces femmes repères jouent un rôle essentiel au sein de la cité, puisqu’elles créent du lien, mais portent aussi la casquette “d’agent de santé communautaire”. Ce sont souvent elles qui traduisent et expliquent un système de santé parfois compliqué, et qui redonnent aux dames une estime d’elle-même et une confiance en elles primordiales pour une reconstruction complète. “Le corps, dans le cadre de parcours d’errances, de violences, est souvent un élément complexe, problématique. À la Cité des Dames, on travaille sur le fait de prendre soin de son corps, on réapprend les bons gestes”, raconte Nadège Passereau.

Sortir de l’invisibilité

Grâce à la présence d’ordinateurs connectés à Internet, les dames peuvent aussi faire leurs démarches administratives, en bénéficiant d’un réel accompagnement. “Elles peuvent ainsi enfin s’informer, car nos systèmes sont complexes, que ce soit pour le droit d’asile, l’administratif pur, ou le droit des femmes”, explique la déléguée générale. Le précieux début d’un long processus, qui les mènera peut-être vers une réinsertion pérenne dans la société, avec à la clé des papiers en règle, un emploi, ou encore un logement à elles.

Si les femmes sans-abri commencent à bénéficier d’une plus large attention, de nombreux efforts restent à faire, notamment au niveau du financement d’une structure telle que la Cité des Dames. Pour fonctionner, l’établissement a besoin de 2 107€ par jour, pour accueillir entre 75 et 90 dames quotidiennement (dont 50 par nuitée). Pour le moment, la mise à l’abri des femmes SDF est financée à hauteur de 60% par l’état, 30% par la mairie de Paris, et 10% par des fonds privés. En 2018, un crowdfunding lancé sur Ulule avait permis à la structure de réunir 22 000€, le double de ce qu’elle espérait. De quoi renforcer les équipes de bénévoles et de salariés, jusque là “en sous effectif”.

 


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