Lutter contre la double discrimination, le combat de David, co-fondateur de Handi-Queer
par Anaelle Azoulay
11 mai 2021

David Pereira est un jeune homme transgenre, en situation de handicap, co-fondateur de l’association Handi-Queer. Créée en 2017 avec sa meilleure amie, qui fait elle aussi partie de la communauté LGBTQ+ et est aussi en situation de handicap, cette association souhaite mettre en lumière les enjeux liés aux handicaps mais aussi et surtout comment ils s’imbriquent dans d’autres questions toutes aussi importantes : celles de la sexualité, de l’orientation sexuelle et des nombreux tabous qui existent encore autour du fait d’être une personne handicapée et d’avoir une sexualité épanouie.

David et Marie ont commencé en créant un blog, parce qu’ils avaient besoin de parler, de s’exprimer en utilisant leurs propres voix pour s’inscrire dans la sphère publique. Comme me le dit David pendant notre échange téléphonique : « on ne doit pas être les seules personnes à vivre ça donc autant donner un peu de visibilité à ce que l’on vit ».

Pour lui, tout est aussi parti du constat très fort et alarmant (dont on n’entend malgré tout très peu parler) de l’accessibilité des transports en France. Pour rappel, à Paris, beaucoup d’aménagements ont été réalisés ces dernières années pour faciliter l’accès aux personnes à mobilité réduite (escalators), aux malvoyants (sonorisation des quais et des rames) ou aux malentendants (amélioration de la signalisation). Malgré tout, Paris est l’une des grandes villes du monde où le réseau de métro est le moins accessible contrairement aux modèles que sont Los Angeles ou Washington avec 100 % d’accessibilité. A Paris, seules 3% des stations de métros sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant et seule la ligne 14 leur est entièrement accessible.

En février 2005 pourtant, la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » est adoptée, grâce à Jacques Chirac qui avait fait du handicap l’un de ses chantiers prioritaires. Cette loi visait notamment à faciliter l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap dans les transports et les entreprises. Plus de 15 ans après, les progrès ne sont pas au rendez-vous. Et comme le dit si bien David, «  si les choses étaient plus accessibles, paradoxalement, je serai beaucoup moins handicapé, car je le ressentirais moins ».

C’est donc encore une fois la société civile qui prend le relai, avec par exemple de nombreux sites et applications qui permettent de recenser les options et lieux de mobilité et d’accessibilité en France comme Moovit ou encore I Wheel Share.

En 2018, David envisage de participer à la marche des fiertés, organisée par l’Inter-LGBT – ou Interassociative lesbienne, gay, bi et trans. Créé en 1999, il s’agit aujourd’hui d’une fédération d’une soixantaine d’associations militantes pour les droits des personnes LGTBQ+. Mais, un problème se pose, encore… celui de l’accessibilité à cette marche (et à toutes les autres d’ailleurs) pour les personnes en situation de handicap comme David, qui est en fauteuil roulant. Pendant les manifestations et les marches, on oublie vite que malgré toutes les bonnes volontés, le bruit, le monde, la fermeture des transports qu’elles occasionnent, sont autant de freins à la participation des personnes handicapées. Une participation à la vie citoyenne.

En 2018, Handi-Queer créé alors le premier char accessible lors de la marche des fiertés qui a lieu fin juin 2018 : sur ce char, pas de musique, des chaises pour s’asseoir, des WC etc. Pour cette première réalisation, une dizaine de personnes ont accès au char et y participent. Depuis, l’organisme essaie de continuer ses actions, avec difficulté, notamment car la majorité des membres sont en situation de handicap et se heurtent déjà à de nombreux obstacles. Il s’agit néanmoins aujourd’hui d’un cercle de paroles et d’idées qui reste assez unique de par les sujets qu’il traite, et qui comprend aujourd’hui plus de 400 membre d’un groupe Facebook privé.

 

L’exclusion du discours publique renforce celle liée au handicap

Plus globalement, leur combat se base sur l’envie de faire partie intégrante du discours publique, pour que les personnes en situation de handicap mais surtout leurs besoins soient réellement pris en compte. En retour, cela faciliterait leur intégration dans la société et permettrait à ce sentiment de « différence » de s’estomper.

Un exemple marquant rappelé par David est celui de la loi sur la désolidarisation des revenus avec l’AAH. Le 09 mars dernier, le Sénat a voté le principe d’une Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) désolidarisée des revenus du conjoint. Une pétition sur le site du Sénat signé par plus de 100 000 personnes a permis d’accélérer le calendrier parlementaire.

Pour rappel, actuellement, le montant de l’AAH (qui concerne 270 000 ménages en France) dépend des revenus du conjoint. Autrement dit, son montant mensuel est de 902,70 euros si les revenus annuels de la personne sont inférieurs à 10 832,40 euros et 19 606,64 si elle est en couple. A partir de ce montant donc, celui de l’allocation est dégressif ce qui créé un système de dépendance de la personne handicapée vis à vis de son conjoint.

Comme l’explique David, « la personne handicapée se retrouve coincée dans la relation, on dépend des revenus de la personne avec qui l’on vit. » Cette loi vise à changer ce système.

Un nouveau pas en avant qui dépendra malgré tout de sa réelle mise en application car le gouvernement reste opposé à cette désolidarisation. Par ailleurs, ce montant de 902,70€ avait déjà été revalorisé par Macron en 2018 et 2019 mais reste toujours en dessous du seuil de pauvreté fixé, en France, en 2020, à 1 063 euros par mois.

La mission plus globale de Handi-Queer est donc de mettre en avant ces sujets sociaux mais aussi politiques auprès du grand-public pour ouvrir le débat et créer des espaces de parole plus ouverts.

Pour David, la question de l’invisibilisation des minorités et de l’apprentissage de la tolérance est d’autant plus cruciale. David vit en effet une double discrimination et une double invisibilisation, en étant à la fois transgenre et en situation de handicap, « deux communautés invisibilisées ». Pour les personnes en situation de handicap, « la question du corps et de la sexualité en général n’existe pas, elle reste un tabou sans nom et le corps handicapé est soit fétichisé soit médicalisé », affirme David. « On ne va pas penser que les personnes handicapés ont aussi ce genre de problématiques, enjeux et questions car elles restent catégorisées dans une seule situation ». Selon lui, il n’y a pas de rencontres entre les différences, pas de rencontres entre les stigmas qui permettraient pourtant surement des les déconstruire encore plus facilement. L’idée est alors de rendre visibles les personnes de la communauté LGBTQ+ auprès du monde du handicap et inversement.

David explique par exemple que pour rencontrer d’autres personnes de la communauté LGBTQ+, il y a plein de lieux connus comme des bars mais le problème de l’accessibilité y existe également. « Il faut tout repenser pour tout, et ne pas seulement mettre un bout de scotch par ci et un autre par là, il faut vraiment se demander de quoi ont besoin les gens en fonction de leurs différences et ne pas faire comme si elles n’existaient pas ».

La France, pour David, est encore loin du compte en termes de solutions pour les personnes en situation de handicap, malgré de nombreuses améliorations récentes. David a aussi étudié au Québec, où il a pu expérimenter très fortement la différence de traitement par rapport à la France. Par exemple, « la location d’un fauteuil roulant électrique n’est pas possible en France alors qu’au Québec, c’est extrêmement simple ».

En France, David avait droit à un tiers-temps pour ses examens. Mais ce tiers-temps n’est pas une solution adaptée à tous les handicaps. En ce qui le concerne, le fait d’être en fauteuil roulant et d’avoir du temps supplémentaire pendant un examen, et de rester devant sa feuille 5h au lieu de 4h le fatigue plus qu’autre chose. Au Québec, lorsqu’il va voir l’administration de l’université pour leur demander comment cela se passe pour les personnes en situation de handicap lors des examens, on lui répond : « Dis nous ce dont tu as besoin et nous nous adapterons », « on peut t’enlever quelques questions, tu peux reprendre l’examen quelques jours plus tard pour le terminer… ». Une agréable surprise pour lui qu’il relie à une plus grande ouverture d’esprit générale. Ce sera d’ailleurs lors de cet échange au Québec qu’il commencera sa transition de genre.

Cette ouverture d’esprit est une réelle clé voire l’unique clé pour faire bouger les choses face aux nombreux enjeux restants liés au handicap mais aussi aux discriminations de genre en France et ailleurs. Un changement qui passera surtout par l’éducation dès le plus jeune âge.

 

L’éducation à la différence

C’est d’ailleurs un des prochains chantiers de l’association Handi-Queer : les interventions dans les écoles. Car selon lui, « tout se passe quand on est plus jeune, c’est à ce moment que l’on peut plus facilement muscler son ouverture d’esprit ».

« Les plus jeunes n’ont pas de jugement, de préjugés ». A l’inverse, ils ont selon lui une curiosité et ont envie de savoir, de comprendre. Mais les parents n’ont pas toujours les mots car ils ne connaissent pas et ne sont pas suffisamment armés pour parler justement à leurs enfants des différences qui existent dans nos sociétés.

David décrit ses expériences dans le métro où il se retrouve face à des jeunes enfants et leurs parents. Les enfants sont intrigués par le fauteuil roulant, sans idée préconçue mais « les parents ne savent pas expliquer à leurs enfants que ce n’est pas « moins bien » d’être en fauteuil roulant, c’est seulement « autrement » ». De même pour combattre la LGBTphobie, « si on expliquait aux enfants qu’il n’y a pas de meilleure façon d’aimer, alors le regard changerait ».

C’est donc d’une éducation à la différence dont nous avons besoin en France. Pour ce qui est du handicap, celle-ci doit aussi passer par un juste milieu entre adaptation à la situation de chacun et chacune et accompagnement de la différence, comme ce que David a pu expérimenter au Québec. Lui était dans une école spécialisée pour enfants handicapés pendant deux ans, ce qui a des avantages en termes d’accessibilité notamment mais aussi de nombreux inconvénients car « après, on se prend le monde réel de plein fouet ».

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées avait également posé le principe de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. Depuis, plusieurs comités et études ont remis en cause cette politique. En 2017, la Rapporteuse Spéciale de l’ONU sur les droits des personnes handicapées a notamment encouragé « le gouvernement à mettre en place une politique globale de transformation du système éducatif pour assurer un accueil inclusif des enfants handicapés au lieu de cibler l’individu en forçant les enfants handicapés à s’adapter au milieu scolaire. » Le plan 2022 du gouvernement – Une école de la République pleinement inclusive – vise à pallier ces problématiques avec des progrès quantitatifs en termes de nombre de postes d’aides aux enfants en situation de handicap ainsi qu’une revalorisation du métier mais aussi et surtout un changement qualitatif. L’objectif est de pouvoir personnaliser la scolarisation pour chaque élève en fonction de sa situation et de son handicap. Un réel progrès.

Enfin, toujours dans l’optique d’informer et de sensibiliser à la fois sur les questions du handicap et de l’égalité des genres, David souhaite aussi créer des groupes de paroles accessibles à tous – et en présentiel lorsque ce sera à nouveau possible – pour faciliter les échanges et libérer la parole. En se rendant par exemple dans les lieux où vivent des personnes en situation de handicap, il souhaiterait contribuer à son échelle à élargir l’accès à une éducation sexuelle qui ne soit pas cis-normé. L’équipe continue de creuser les pistes pour une inclusion la plus large possible pour ce type d’évènements avec notamment des interprètes pour les personnes sourdes et malentendantes.

Pour David, le plus important reste cet enjeu du changement des mentalités et du regard dès le plus jeune âge, la seule réelle solution qui se répercutera ensuite dans toutes les autres sphères sociales et politiques.

Le 08 mars dernier, pour la journée internationale des droits de la femme, apparaissait en une de Marie-Claire Elisa Rojas, avocate militante pour les droits des femmes et des personnes handicapées. Elle est devenue la première femme en fauteuil roulant à faire la une d’un magazine féminin en France. Une couverture importante pour changer le regard sur le handicap et sur tout ce qui nous rend unique…

 


A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.

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Image : Jon Tyson – Unsplash