Pérou : les femmes s’organisent pour faire face à la crise alimentaire et faire valoir leurs droits

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Pérou : les femmes s’organisent pour faire face à la crise alimentaire et faire valoir leurs droits

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Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de l’association CENCA, partenaire de Frères des Hommes, et des femmes du quartier Mariategui à Lima au Pérou. Ce quartier, comme le reste du pays, a été très durement touché par la pandémie de la Covid-19. Nombreuses sont les familles démunies qui se sont en effet retrouvées sans possibilité de travailler et donc de générer des revenus. Pour pallier l’absence d’aides des autorités, les femmes ont ainsi choisi de s’organiser pour faire face aux problèmes alimentaires des familles du quartier.

Fortes des compétences acquises grâce au Projet « Habla Mujer » (Paroles de Femmes) mené par Cenca et Frères des Hommes, ces dernières ont pu mobiliser leur quartier. Si elles ont réussi à générer des soutiens financiers, ces femmes ont aussi mis en place des cantines populaires et communautaires auto-gérées. Comme le raconte Davis Morante, directeur adjoint de Cenca, « elles ont pris l’initiative de lancer les « Casseroles pour tous ». Elles ont commencé à cuisiner en commun ce qu’elles avaient et à le distribuer aux habitants du quartier. »

Vue de Mariategui

 

Les femmes du quartier de Mariategui à Lima vivent de fortes inégalités

Depuis plus de 3 ans, Frères des Hommes et son partenaire péruvien CENCA mènent ensemble un projet avec et pour les femmes d’un bidonville de Lima. Dans les hauteurs du quartier Mariategui, les inégalités de la capitale péruvienne sont criantes : les maisons sont faites de planches de bois, l’accès se fait principalement à pied, par des escaliers, il n’y pas d’accès à l’eau courante et les services publics font cruellement défaut.

Dans un pays très machiste, les femmes font face à d’autres types d’inégalités : reléguées aux tâches du foyer et de soins aux enfants, parfois violentées, ayant eu peu d’opportunité d’étudier ou d’obtenir un emploi stable et correctement rémunéré, elles sont souvent isolées voire invisibles dans les sphères économiques et citoyennes.

 

Apprendre et faire ensemble pour contribuer à l’émancipation des femmes

C’est dans ce contexte qu’intervient CENCA, depuis une dizaine d’années, et plus récemment avec le projet « Habla Mujer » qui vise à l’émancipation des femmes et à leur participation à la vie sociale, économique et citoyenne de leur quartier. Pour accompagner les femmes, CENCA leur propose des formations métiers et des formations à l’entrepreneuriat. En parallèle, des ateliers centrés sur le développement de leur confiance en elles, leur motivation, leur capacité à exprimer leur opinion en public et à être force de proposition leur sont proposés.

L’objectif : leur permettre de développer leur conscience critique et leur capacité à analyser la société dans laquelle elles évoluent. Dans ces espaces de formation comme l’école « Habla Mujer » et l’école de développement local ESDEL, où l’éducation populaire est au centre des pratiques, les relations avec les femmes sont très horizontales. CENCA part toujours de leurs savoirs et connaissances, pour développer petit à petit des solutions conjointes, après avoir analysé ensemble problèmes et contexte. Apprendre ensemble, faire ensemble, prendre le temps et générer la confiance sont les clés pour participer à l’émancipation des femmes.

 

Utiliser la force du collectif pour faire bouger les lignes

Au cours des 3 ans du projet, 265 femmes ont ainsi reçu une formation métier dans divers domaines (couture, pâtisserie, cordonnerie, mais aussi construction, menuiserie ou électricité…), une soixantaine de femmes ont participé à l’école « Habla Mujer », et 70 ont créé des activités génératrices de revenus. Et surtout, une quinzaine de femmes ont créé un atelier partagé de couture et cordonnerie. Elles se retrouvent dans un atelier commun où les machines et les outils nécessaires à la production sont partagés.

Atelier patisserie

Pour CENCA et Frères des Hommes, l’émancipation n’est donc pas seulement conçue comme une autonomisation économique et jugée par l’augmentation des revenus. L’émancipation est un processus long, complexe, difficile, qui lie les sphères socio-économique, citoyenne et politique, et qui vise une approche individuelle et personnelle, tout autant que collective.

Emancipation collective à l’instar de cette initiative citoyenne portée notamment par les femmes issues de ce groupe de couturières. Aujourd’hui, elles sont les leaders communautaires de cantines populaires. Maruja, Griselda, Graciela ou encore Violeta se sont organisées pour créer des lieux auto-gérés afin de nourrir les centaines de familles de leur quartier qui subissent les conséquences de la pandémie.

Atelier construction

Plus confiantes, les femmes prennent des responsabilités et une place importante dans leur communauté

Selon Abilia Ramos Alcantara, animatrice locale au sein de CENCA, « le projet ″Habla Mujerˮ ne les a pas aidées, le projet les a formées. Cela a permis qu’elles révèlent des choses enfouies au fond d’elles-mêmes, qu’elles ne connaissaient pas en restant dans leur rôle de bonne voisine ou de femme silencieuse. Le projet a permis qu’elles se forment, qu’elles découvrent leurs droits, qu’elles se lient à leurs voisins et voisines, et qu’elles apprennent elles aussi à être écoutées. A CENCA, nous sommes très contents de voir que les femmes ont maintenant une place importante dans leur communauté et qu’elles ont pris la responsabilité de former des cantines populaires dans leur quartier afin de nourrir les nombreuses personnes qui en ont besoin. »

Abilia Ramos

Pour ce faire, elles ont dû rassembler et convaincre le voisinage de la faisabilité de ces projets. Parfois, elles se confrontent à des plaintes des voisins qui ne sont jamais à 100% satisfaits des efforts qu’elles fournissent. Elles doivent surmonter les obstacles que des dirigeants de quartier leur imposent afin de récupérer leurs initiatives. Elles doivent solliciter l’aide d’entrepreneurs ou d’entreprises pour obtenir des dons en nature ou en argent. Elles participent elles-mêmes à cuisiner pour tout le voisinage, parfois 20 personnes, parfois 120. Comme l’explique Abilia Ramos : « c’est une grande responsabilité d’être en charge d’une cantine populaire car face à toi il y a de nombreuses personnes qui dépendent de toi pour se nourrir. »

Se former pour s’organiser entre femmes et auto-gérer les cantines populaires

Au sein de leur atelier de couture et cordonnerie partagé, elles ont fait l’expérience de l’autogestion collective. Accompagnées par CENCA, elles sont parvenues à s’organiser collectivement, à prendre des décisions ensemble concernant la production, l’argent qu’elles gagnent ou dépensent, ou encore la répartition des responsabilités. Elles ont su proposer une alternative collective et solidaire à l’entrepreneuriat individuel du système traditionnel, en ne travaillant pas seule chacune de leur côté, mais en mutualisant les équipements et les outils. Elles partagent les bénéfices et alimentent également un fonds commun. Leur objectif : anticiper l’avenir de leur entreprise, accéder à des formations complémentaires ou constituer une caisse de soutien en cas de besoin. Elles se disent fières de faire des activités considérées comme « masculines », telles que parler en public, mobiliser l’entourage de manière participative, être le leader d’un groupe. Elles ont développé leur auto-estime et ont aujourd’hui une plus grande confiance pour entreprendre des activités économiques ou mobiliser leurs apprentissages pour d’autres initiatives comme les cantines populaires et communautaires.

 

Maruja, nouvelle leader de son quartier

Maruja Muñoz

Maruja Muñoz Estrada, une participante aux formations et à l’atelier de couture, a ainsi découvert les droits qu’ont les habitant.e.s du quartier, comment réunir le voisinage autour d’un projet commun et s’auto-organiser, tout en ayant un discours adéquat pour ne générer aucun conflit. Comme le raconte Abilia Ramos : « Avant la pandémie, le quartier de Maruja était divisé ; les habitants n’avaient jamais pu s’organiser en assemblée. Depuis que Maruja a initié la cantine populaire, elle a réussi à remobiliser les voisin.e.s des différentes zones, basse, moyenne, haute. Au début, il y avait environ 30 à 40 personnes qui recevaient l’aide alimentaire de sa cantine. Maintenant, ils sont entre 150 et 200 ! Elle a réussi à rassembler les voisin.e.s, à faire qu’ils s’organisent. Et maintenant, ils ont enfin une assemblée formelle qui se préoccupe de l’accès à l’eau, des chemins d’accès du quartier, des escaliers. Organiser un quartier qui était divisé depuis 5 ans est un résultat impressionnant ! »

 

Faire valoir leurs droits : la nouvelle lutte des « cantinières de Mariategui »

Telle Maruja, de nombreuses femmes s’engagent pour leur communauté. Le 23 octobre et le 30 novembre 2020, avec l’appui de CENCA et du comité de sécurité alimentaire de la métropole de Lima, où les « cantinières de Mariategui » participent, elles ont organisé un concert de casseroles et une campagne sur Twitter avec plus de 500 autres cantines populaires de Lima ! Elles réclament que le budget alloué par le gouvernement en soutien aux cantines leur soit réellement versé.

Manifestation devant le Parlement (pour défendre les ollas comunes)

En effet, ce budget est contrôlé par les municipalités de districts et la mauvaise gestion, le clientélisme ou la corruption font que la plupart des cantines populaires de San Juan de Lurigancho et Mariategui n’ont reçu ni aliments, ni équipements, ni formations. Esther Alvarez, avocate de CENCA nous explique : « Les femmes de Mariategui se sont organisées pour rejoindre le réseau des cantines populaires de Lima. Nous les accompagnons pour qu’elles connaissent leurs droits et puissent faire un travail de surveillance et suivi des décisions des autorités. Avec elles, nous avons intégré le comité de sécurité alimentaire de la capitale et mobilisé le Défenseur des droits. » Début décembre, elles étaient reçues par le Parlement afin de faire entendre leur voix et obtenir l’aide promise et nécessaire pour continuer à nourrir les familles qui souffrent de la faim durant cette crise sanitaire et économique qui perdure.

 


 

Créé en 1965, Frères des Hommes est une association française non confessionnelle, indépendante de tout parti politique et syndicat, engagée dans des actions de transformation sociale en France et à l’étranger. Face à un système politique, économique et social qui génère inégalités et exclusions, FDH s’est fixé comme mission d’être acteur de transformation sociale. En France, Frères des Hommes, association militante, accueille des personnes souhaitant s’engager dans des actions de solidarité internationale et dans des actions contribuant à la transformation sociale. A l’étranger, Frères des Hommes et ses partenaires accompagnent localement des populations en situations de vulnérabilités à s’émanciper, grâce à des formations techniques et citoyennes et à agir en collectifs. Cet article a été écrit par Frères des Hommes, en collaboration avec Azickia. 

 

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