Le 9 mars 2020, pendant notre voyage au Pérou, mon ami Jeremy et moi avons eu la chance de rencontrer Peruvian Hearts, une association qui oeuvre pour l’autonomisation des femmes péruviennes. Notre voyage au Pérou et en Bolivie était déjà prévu depuis un certain temps. Venant tout juste de créer le fonds de dotation Azickia, il me parut assez évident de profiter de ce temps pour rencontrer et échanger avec des ONG locales une fois sur place. Pour découvrir aussi la réalité souvent difficile qui se cache derrière les magnifiques paysages de ces deux pays particulièrement touristiques. Tous les imprévus qui ont suivi notre voyage (merci Covid-19…) ont décalé la publication de cet article. Mais mieux vaut tard que jamais.
Après m’être renseignée en ligne sur les différentes organisations à but non lucratif présentes dans l’une des villes que nous allions visiter, je suis tombée sur une association appelée Peruvian Hearts. Leur mission : contribuer à l’autonomisation des femmes et à l’émergence de la prochaine génération de femmes leaders grâce à l’éducation.
Cet accent mis sur l’autonomisation des femmes, l’égalité des sexes et l’éducation m’a particulièrement interpellée, car il s’agit également de certains des Objectifs de Développement Durable de l’ONU que nous avons choisi de soutenir via Azickia. Sur leur site, Peruvian Hearts invite clairement toute personne intéressée à les rencontrer sur place au Pérou, un gage important de transparence – une valeur encore trop souvent absente ou négligée dans le secteur du développement international et de la solidarité. Quelques mois plus tard, nous rencontrons leur directeur exécutif, Danny Dodson, à Cusco.
Peruvian Hearts est une organisation caritative 501(c)3, basée dans le Colorado, aux États-Unis. Leurs actions au Pérou se déroulent principalement à Cusco et à Lima. L’histoire de la création de PH est elle-aussi très singulière : comme expliqué sur leur site et par Danny pendant notre visite, PH a d’abord été créée par Ana Dodson, la soeur de Danny, adoptée lorsqu’elle était bébé en 1992 à Cusco. Après être retournée dans son pays natal pour la première fois à l’âge de 11 ans en 2003, elle décide alors d’agir pour contribuer à la réduction de la pauvreté dont elle a été témoin au cours de son voyage. De retour chez elle, elle fonde Peruvian Hearts à l’aide de sa famille. À cette époque et au tout début des années 2000, près de la moitié de la population péruvienne était considérée comme « pauvre, avec un revenu inférieur au coût du panier alimentaire minimum (42 dollars en Amazonie et 75 dollars à Lima) ».
L’histoire d’Ana a attiré beaucoup d’attention à l’international et son parcours a été reconnu par divers organismes dans le monde entier : Ana a été « sélectionnée comme héroïne de CNN en 2007 et nommée parmi les « Heroes among us » du magazine People en 2008. À 17 ans, elle s’est exprimée au siège des Nations unies à New York lors de la Journée internationale de la paix et, en 2009, à 18 ans, elle a reçu un Caring Award et a été intronisée au Caring Hall of Fame à Washington, D.C. ». « Son histoire a été reprise dans plusieurs publications telles que National Geographic for Kids, Time for Kids, et deux livres pour enfants s’en sont inspirés. Peruvian Hearts et l’histoire d’Ana font également partie du film documentaire de 2014 sur l’archevêque Desmond Tutu, Children of the Light ».
En redonnant sa chance à d’autres jeunes femmes, l’association PH créée par Ana fait partie des projets d’émancipation des femmes visant à briser le cercle vicieux de dépendance et de pauvreté
Outre l’histoire personnelle d’Ana, c’est la mission qui anime PH et leur approche du concept d’« empowerment » qui ont motivé cet article. Comme nous l’a expliqué Danny sur le chemin des bureaux de PH, seules 3 % des jeunes filles vivant en zone rurale au Pérou rejoignent les bancs de l’université. Pour être acceptée, elles n’ont qu’une seule chance via un test unique proposé par chaque université.
Plus précisément, chaque université (privée ou publique) a son « propre » examen d’entrée. Souvent, pour l’université nationale, cela signifie plus de 2 000 candidats en lice pour seulement 12 à 16 places, selon le parcours d’études choisi. Il existe des centaines d' »académies » qui aident à préparer les étudiants aux examens d’entrée, pour un coût compris entre 500 et 800 S/ (soit 150 à 200 US dollars) pour 3 mois de cours. Le salaire mensuel minimum au Pérou est lui compris entre 900 S/. à 1000 S/. Malheureusement, et comme dans beaucoup de pays, seules les familles les plus aisées peuvent donc se permettre de financer ces cours préparatoires.
Autre chiffre marquant : seules 36% des jeunes filles des zones rurales du Pérou terminent l’école secondaire. Les raisons principales de ce taux très faible sont principalement liées à tous les coûts annexes de l’éducation qui incluent les livres, le logement et/ou le transport, et aux conditions socio-économiques plus générales nécessaires à chacun et chacune pour réussir.
Et pourtant, pour le développement d’un pays, l’éducation et l’émancipation des femmes font partie des « facteurs de succès » les plus importants pour permettre à un pays de sortir de la pauvreté, durablement. « Investir dans l’autonomisation économique des femmes ouvre la voie à l’égalité des sexes, à l’éradication de la pauvreté et à une croissance économique inclusive ».
Comment Peruvian Hearts tente de faire changer ces chiffres ?
Pour nous montrer ce qu’ils font très concrètement et comment ils mènent à bien leur mission sociale, Danny nous propose de rencontrer l’une des jeunes filles qui a rejoint leur programme et qui est actuellement une de leurs étudiantes boursières. Accompagnés par Danny depuis notre hostel situé au centre de Cusco, nous arrivons environ 15 minutes plus tard devant une maison avec une porte bleue comme on en voit souvent à Cusco. C’est là que nous ferons la connaissance d’Eduarda, une jeune fille de 19 ans, nous accueillant à bras ouverts dans sa maison.
Ce que nous avons principalement appris et retenu de notre visite, est que PH n’agit pas uniquement comme un soutien financier pour aider ces jeunes filles à aller à l’université et atteindre leur objectif professionnel. Leur approche est bien plus complète et s’inscrit dans une logique de soutien holistique, pour sortir ces jeunes filles de la pauvreté durablement et intelligemment. Comment ?
Pendant notre discussion avec Eduarda, tout en nous parlant de ses études de droit, elle nous montrait tout ce que PH avait fait pour elle. Parmi toutes ces « petites choses annexes », PH lui a notamment fourni une lampe solaire pour lui permettre d’étudier plus tard dans la soirée. L’association l’a également aidée à réparer le toit de sa maison qui s’effondrait à cause de l’humidité, ou encore à installer des toilettes fonctionnelles pour toute la famille, avec une porte pour l’intimité, etc. Une des autres jeunes étudiantes que nous avons rencontrée par la suite avait également reçu des lunettes et un appareil dentaire.
Il semble évident mais souvent oublié que tous ces besoins et aspects basiques et fondamentaux de la vie quotidienne doivent être satisfaits avant de pouvoir se concentrer sur l’éducation. La pyramide des besoins de Maslow illustre clairement ce principe. De telles améliorations peuvent alors avoir un impact significatif sur l’éducation d’une personne, sur sa capacité à terminer ses études et à obtenir un diplôme universitaire. Alors seulement, l’éducation pourra conduire à une vie meilleure sur le long terme…
Au sein de Peruvian Hearts, l’équipe locale est particulièrement dévouée. Nous avons pu rencontrer deux d’entre eux, Edwin et sa femme Jeannette, tous les deux mentors pour les jeunes filles qui rejoignent le programme. Pour clore l’histoire de la création de Peruvian Hearts, Edwin est en fait celui qui a aidé la famille d’Ana à l’adopter, il y a maintenant près de 30 ans. Miriam, la psychologue de PH que nous n’avons pas vu, fait également partie de l’équipe locale, apportant un soutien mental précieux à ces filles qui, pour la plupart, se sentaient suffisamment en confiance pour nous parler de leurs problèmes familiaux alliant souvent violence et/ou alcoolisme. Enfin, Hammeris est le conseiller académique de PH qui les aide à maintenir le cap pendant leurs études.
Après cette rencontre avec Eduarda, nous sommes allés dans les bureaux de PH et avons écouté avec attention les histoires d’autres jeunes étudiantes – une plus émouvante, mais surtout, plus inspirante que l’autre. Avant toute chose, nous avons été frappés par leur positivité, leur détermination et leur facilité à continuer de rêver et à ne pas abandonner leur passion et ambition professionnelle malgré les difficultés. Une leçon d’humilité.
Au delà du soutien financier, PH encourage les jeunes filles du programme à prendre les devant pour devenir maîtres de leur vie personnelle et professionnelle. Un système de mentorat est mis en place, associé à une approche entrepreneuriale et à un fort esprit d’équipe, où l’entraide prévaut. Cheffes, avocates, médecins ou ingénieures, leurs carrières futures prennent forme et deviennent désormais atteignables, inspirant de futures générations après elles.
Le processus de sélection multidimensionnel utilisé par PH a également un rôle important à jouer dans la réussite de leurs programmes. Comme le précise Danny : « Notre processus de sélection se développe en permanence et a évolué au cours des huit dernières années et demie de notre programme d’éducation et d’autonomisation des femmes. Nous opérons une sélection sur la base de différents critères d’exigences, qui comprennent : un niveau de réussite scolaire démontré, des difficultés économiques au sein de leur famille, des valeurs morales fortes telles que la solidarité, le respect ainsi qu’une volonté de réussir et le désir d’aider les autres. Les boursières potentielles rencontreront ensuite séparément notre directrice de programme, Jeannette, notre psychologue, Miriam, et notre conseiller académique, Hammeris. Elles seront enfin invitées à participer à un entretien de groupe avec l’équipe de PH au Pérou et d’autres étudiantes. Dans la mesure du possible, nous rencontrerons les membres de la famille pour nous aider à évaluer leur niveau de soutien familial économique existant ». Ce processus contribue ainsi à assurer la durabilité de leur mission et de leur impact.
À ce jour, PH compte 32 étudiantes et 6 diplômées. 4 ont obtenu leur Titre, ce qui signifie qu’elles ont également terminé leur thèse et effectué un stage de fin d’études. 5 sont actuellement en train de rédiger leur thèse. Dans les années à venir, il sera d’autant plus intéressant de suivre les étudiantes PH afin d’évaluer l’impact long-terme sur leur vie quotidienne et celles de leurs proches.
L’autonomisation des femmes ou comment reprendre le contrôle de sa propre vie
Le terme « Women Empowerment » est maintenant de plus en plus utilisé, notamment dans le secteur du développement. Parfois, sa signification n’est pas tout à fait claire ou le terme n’est pas bien employé. Voici une définition intéressante de ce concept: « L’autonomisation des femmes est le processus par lequel les femmes acquièrent le pouvoir de contrôler leur propre vie ainsi que la possibilité de faire des choix stratégiques ».
Cette définition souligne l’importance de ne pas imposer nos propres choix aux femmes des pays à plus faible revenu, ou à toutes celles qui n’ont pas les mêmes chances de vie en termes d’opportunités socio-économiques. Au contraire, dans la mesure du possible, l’idée est de faciliter l’accès à ces mêmes chances pour leur donner ensuite le pouvoir et la capacité de prendre leurs propres décisions. Plus facile à dire qu’à faire, évidemment.
Mais en redonnant sa chance à d’autres jeunes femmes, l’association PH créée par Ana fait partie des projets d’émancipation des femmes visant à briser le cercle vicieux de dépendance et de pauvreté. Un exemple à suivre pour de nombreuses autres organisations à but non lucratif, mais aussi pour toute personne désireuse de comprendre plus en profondeur le processus d’autonomisation des femmes et son importance à l’échelle globale.
A travers ces Stories, Azickia vise à mettre en avant des initiatives à impact social, en France et dans le monde, et cela sans adhérer pour autant à toutes les opinions et actions mises en place par celles-ci. Il est et restera dans l’ADN d’Azickia de lutter contre toute forme de discrimination et de promouvoir l’égalité pour tous.
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France.