Au sud du Népal se trouve la communauté Musahar, caste la plus marginalisée et exploitée du Népal, voire du monde entier. En 2016, l’association Street Child qui œuvre pour l’éducation des enfants les plus vulnérables s’intéresse à la situation des Musahars et mène une étude de terrain de plusieurs mois afin de lancer un vaste projet de soutien à ce peuple piégé dans le cercle de l’extrême pauvreté. Usha Limbu, responsable de ce projet ambitieux a accepté de partager avec moi les défis rencontrés mais aussi les plus belles réussites de cette entreprise.
Naissance du projet Musahar
En 2015, une série de séismes dévastateurs frappe le Népal, et entraîne la déscolarisation d’un million d’enfants. C’est dans ce contexte chaotique et pour répondre à cette situation d’urgence que Street Child étend son domaine d’intervention au Népal et travaille aux côtés de partenaires locaux pour mettre à portée l’enseignement aux communautés les plus affectées du pays. « Street Child s’est ensuite intéressé à la communauté Musahar. L’étude menée en 2016 a permis d’aller à la rencontre de cette population, de comprendre ses besoins, et les obstacles rencontrés pour accéder à l’éducation » raconte Usha.
La communauté Musahar est l’une des plus démunies au Népal tant d’un point de vue économique que social. Si les Musahars sont historiquement les plus marginalisés politiquement, socialement et exploités économiquement, c’est sans nul doute dû à leur statut d’intouchables. Ce statut les rend particulièrement vulnérables et exposés à l’extrême pauvreté. Leurs lieux de vie sont géographiquement isolés, leurs villages situés dans des zones reculées et à l’écart des autres communautés. « Les Musahars n’ont pas de véritable territoire, ils s’installent dans différentes zones au sud du Népal et sont très souvent contraints aux déplacements à cause des catastrophes naturelles » précise Usha.
Enfin, le taux d’alphabétisation est extrêmement bas, en particulier celui des filles qui atteint 3,8% comparé à 77,5 % dans le reste du pays. Seules 5% des filles Musahars de plus de 11 ans sont scolarisées. Ces dernières sont particulièrement touchées par l’analphabétisation car elles subissent fréquemment mariages et grossesses précoces, et contribuent aux dépenses et finances de leur famille par leur travail. « Il ne faut pas oublier non plus que l’accès à l’éducation est limité par les discriminations que les enseignants ou les autres communautés font subir aux enfants et par la barrière de la langue. Il s’agit d’un problème qui va au-delà d’un manque de moyens ou de volonté des familles d’envoyer leurs enfants à l’école. »
Programme de soutien aux jeunes filles Musahars
L’étude de terrain a permis à Street Child de lancer en 2018 un programme visant à accélérer la scolarisation des filles de la communauté Musahar. Ce dernier se déroule en trois grandes phases.
Le programme d’apprentissage accéléré s’étend sur trois à quatre mois et propose un enseignement adapté à chaque enfant et un apprentissage des bases de calculs et de lecture. Des évaluations sont réalisées en parallèle de cet apprentissage pour suivre la progression des jeunes filles et leur degré d’alphabétisation.
Une phase d’apprentissage des compétences de la vie courante est ensuite organisée. Les Musahars doivent surmonter une discrimination omniprésente et un manque récurrent d’informations concernant leur état civil, les prestations de services (santé, éducation, protection) dont ils peuvent bénéficier, leurs droits fondamentaux. « Cette étape leur permet de récupérer ces informations essentielles et grâce à cette connaissance, de s’investir davantage dans les prises de décisions familiales et communautaires » confie Usha.
Enfin, lors de la phase de transition vers les moyens de subsistance, les filles Musahars âgées de 14 ans ou plus sont accompagnées dans un projet de création d’entreprise afin de se procurer un moyen de subsistance et un revenu qui leur permettra de briser le cercle vicieux de la servitude pour dettes.
« Cette phase a été particulièrement complexe à mettre en place, les communautés vivent à l’écart de la plupart des marchés et ont des moyens de communications limités, pas de radios, faible connexion internet ». Street Child réalise alors une cartographie des ressources locales pour étudier et voir quel type d’entreprise est susceptible d’apporter des bénéfices. « Un autre défi est le critère de localisation. Les jeunes filles Musahars doivent pouvoir gérer leur entreprise dans un endroit proche de leur maison, c’est essentiel pour elles ».
Le choix d’entreprise se porte sur des activités que les filles connaissent et apprécient, par exemple la couture, l’élaboration de vêtements. Elles suivent ensuite des cours d’alphabétisation, des formations en gestion, négociation, et sont fournies en équipement et matériels nécessaires à leur activité.
Le soutien des familles et de l’école, des facteurs indispensables à la réussite du programme
Des ONG locales accompagnent et travaillent avec Street Child sur toutes les étapes du programme, notamment sur la partie entrepreneuriat. Mais un autre élément clé pour la réussite du programme est bien sûr l’appui et la collaboration des familles et de l’école.
« Les familles soutiennent en majorité l’idée même si certains parents ont parfois des réticences. Quand il s’agit d’établir des micro-entreprises, ils sont particulièrement enthousiastes, parce que cela répond à un besoin direct ».
Un travail avec les écoles est également nécessaire, la communauté Musahar subissant fréquemment discrimination et stigmatisation dans ce contexte. L’association Street Child propose dans ce cadre des sessions de formation et de sensibilisation portant sur l’école inclusive, l’élaboration d’un environnement bienveillant pour tous les enfants.
« Nous sommes fiers de comptabiliser entre 2018 et 2020, 3 385 filles Musahars ayant bénéficié de notre programme. 792 de ces filles ont créé des entreprises génératrices de revenus. » Au-delà de ces résultats quantitatifs, les filles ont pris confiance en elles, sont désormais plus sensibilisées et capables de répondre aux violences à caractères sexistes. 60% de la communauté féminine Musahar a été impliquée dans ce projet et si certains progrès ne sont pas quantifiables, les bénéfices sur le plan humain sont indéniables.
Des efforts et un engagement à maintenir
Malgré ce succès, la communauté Musahar doit faire face à une période d’incertitudes particulièrement violente.
Mars 2020. Un programme d’apprentissage accéléré (première phase) est amorcé depuis deux mois pour des jeunes filles Musahars. La crise sanitaire et le confinement viennent suspendre les classes.
Plusieurs semaines passent avant la mise en place de cours à distance.
« Les filles et leurs familles ne disposaient d’aucun revenu ni de moyens pour subvenir à leurs besoins vitaux et une aide d’urgence a été mise en place. » Le domaine d’intervention de Street Child s’est concentré pendant plusieurs semaines sur l’assistance alimentaire, les soins psychosociaux et la distribution de kits d’hygiènes dans les familles. La mobilisation des donateurs a été particulièrement forte. « Après plusieurs semaines de confinement, les cours ont pu reprendre à distance, mais éviter le décrochage scolaire dans un tel contexte n’est pas chose aisée. L’équipe éducative a travaillé dur ».
Les Musahars subissent aujourd’hui encore de plein fouet les conséquences de la crise du covid même si ces derniers mois la situation tend à s’améliorer (réduction des cas, meilleur accès au travail). « La communauté Musahar reste plus pauvre et plus vulnérable qu’avant cette crise. Les temps sont incertains mais offrir une éducation de qualité et tout notre soutien reste notre objectif principal ».
Zoom sur l’association Street Child:
Marion Sampéré est la présidente de l’association Street Child France, Manon Philippe l’a interviewée pour Azickia.
- Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis présidente de l’association Street Child France depuis maintenant presque un an. Je travaillais initialement comme secrétaire générale de l’association mais c’est en tant que stagiaire en marketing et collecte de fonds à Barcelone que j’ai pour la première fois découvert l’association Street Child UK.
- Qu’est-ce qui t’a donné envie de travailler pour Street Child ? Quel est ton rôle dans ce projet ?
L’éducation. J’ai plusieurs neveux et nièces et c’est pour moi impensable de les imaginer sans avoir accès à une éducation de qualité !
En tant que Présidente de Street Child France, j’ai à cœur de faire résonner les valeurs de Street Child en France et à l’international. Street Child France cherche à se faire connaître et à obtenir des financements pour pouvoir poursuivre ses programmes et les ouvrir à de plus en plus de bénéficiaires, afin que chaque enfant puisse un jour avoir accès à une éducation de qualité. Une fois les financements accordés, nous mettons en place avec nos partenaires locaux les projets sur le terrain, et nous assurons que les résultats obtenus sont à la hauteur des attentes.
- Quand et comment est née l’association Street Child ?
La Maison mère date de 2008 et est née en Sierra Leone. Les fondateurs, Tom et Lucinda avaient effectué plusieurs voyages là-bas à l’époque où le pays était considéré comme le plus pauvre au monde. Les fondateurs avaient à cœur de travailler avec des acteurs locaux sur le terrain et d’agir non seulement sur l’école mais aussi sur la précarité, l’exclusion, les conditions sanitaires, en clair sur tous les facteurs capables d’empêcher la scolarisation. L’aventure Street Child France commence en 2016 lorsque la maison mère, Street Child UK, fait le choix d’étendre son réseau pour atteindre et sensibiliser un autre public en Europe. Street Child a désormais plusieurs branches en Afrique, en Asie et en Europe.
- Peux-tu nous parler de Street Child ?
L’objectif de Street Child est simple : offrir à chaque enfant l’accès à une éducation de qualité, dans de bonnes conditions. Cela passe par la diminution des inégalités, il ne s’agit pas uniquement d’aller à l’école mais d’améliorer l’ensemble des conditions qu’il y a autour.
L’association a trois piliers : l’éducation, la protection de l’enfance, et le développement d’un revenu familial. Chaque projet implique de travailler au plus près des organisations et des entités locales.
- Jusqu’à maintenant, quelles ont été les plus grandes réalisations menées ?
Street Child intervient dans seize de pays en Afrique et en Asie. Depuis 2008, l’association a aidé plus de 650 000 enfants à retrouver le chemin de l’école, et des milliers de familles à générer un revenu durable qui leur permette de scolariser leurs enfants. L’organisation se développe aussi rapidement en France et dans d’autres pays européens ce qui permet de renforcer le réseau mondial de Street Child, de sensibiliser de nouveaux publics et de lever plus de fonds pour mener à bien notre action.
- A l’inverse, quelles ont été les plus grandes difficultés ou défis que vous avez pu rencontrer ?
Dans certains pays, l’intervention peut bien sûr être plus complexe selon le contexte politique, social ou même sanitaire comme nous l’avons particulièrement vu ces deux dernières années. Dans des pays comme l’Afghanistan par exemple, l’instabilité et l’incertitude ou encore la méfiance de certains financeurs ont été parmi les plus grandes difficultés rencontrées.
- Et l’impact de la crise sanitaire ?
Dû à la crise sanitaire COVID, nous avons fait face à la fermeture de certaines classes mais également à des inégalités et à une pauvreté toujours plus accrue, avec plus d’enfants déscolarisés et des difficultés pour leur famille de subvenir à leur besoin et leur éducation.
Cependant, aucun programme n’a été annulé même si certains ont connu beaucoup de retard. Outre l’aspect terrain, beaucoup de fondations ont reporté ou redirigé leurs appels à projets. La main d’œuvre bénévole a été plus difficile à trouver, notamment avec les confinements.
Ce qui est positif, c’est que nous savons maintenant mieux faire face aux situations d’urgence, nous anticipons et sommes capables de mettre en place une nouvelle organisation rapidement.
- La phrase qui t’aide ou te guide le plus au quotidien ?
« Il n’y pas de petites actions ». Ce qui est important c’est l’intention et le message qu’on veut y mettre. J’ai longtemps pensé que pour agir, il fallait passer par une expérience terrain. Aujourd’hui je me dis que le terrain c’est indispensable mais il y a aussi toute une organisation au siège qui est importante. Cela commence par les leveurs de fonds qui démarchent dans la rue ! Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice.
Photo: StreetChild Nepal
Article et interview par Manon Philippe pour Azickia