Vers la fin du VIH à l’horizon 2030 ?
par Amelia Viguier
9 mars 2020

L’ONUSIDA s’est fixé pour objectif de mettre fin à l’épidémie de VIH/Sida d’ici 2030. Si les avancées médicales ne permettent pas d’éradiquer le VIH et si la possibilité d’un vaccin reste encore à l’étude, aujourd’hui nous possédons tous les outils biomédicaux pour maîtriser le virus. Cette bonne nouvelle s’est accompagnée, ces huit dernières années, par la diminution de 17% des nouvelles contaminations dans la population adulte des 28 pays les plus touchés au monde. Dix ans avant l’échéance, quels sont les défis de santé publique à relever pour atteindre l’objectif de “zéro nouvelle contamination” à l’horizon 2030?

L’épidémie du VIH est considérée comme une épidémie concentrée et dynamique, car elle affecte plus fortement certaines populations clés. En effet, dans les pays dits du Nord, le virus touche particulièrement les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), les personnes originaires d’Afrique Sub-saharienne, les personnes privées de liberté, les usagers de drogues injectables (UDI), les travailleuses du sexe ainsi que les personnes trans. En Afrique, les femmes constituent également une population cible. Ces différents groupes ont pour dénominateur commun les discriminations et l’atteinte à leurs droits humains. Aussi, l’accès au soin leur est structurellement défavorable. Souvent stigmatisées voire criminalisées selon les contextes socioculturels, les populations les plus vulnérables face au VIH sont alors éloignées du soin.

De fait, la lutte contre le VIH doit passer par la lutte contre les inégalités sociales de santé et s’appuyer sur l’universalisme proportionné comme stratégie de santé publique. Il s’agit de donner plus d’accès aux droits à ceux qui en ont le moins, afin de corriger les inégalités sociales et tendre vers une offre en santé plus juste et équitable. Dans cette optique, la fin de l’épidémie de VIH d’ici 2030 est théoriquement envisageable. A ceci près que l’objectif ne pourra être atteint sans garantir l’accès à la prévention et aux soins aux personnes marginalisées, précaires ou sans papiers. Rappelons ici l’enquête ANRS-Parcours, qui montre que 39 à 45 % des personnes migrantes d’Afrique Subsaharienne sont contaminées par le VIH en France et non dans leur pays d’origine.

La lutte contre le VIH doit passer par la lutte contre les inégalités sociales de santé et s’appuyer sur l’universalisme proportionné comme stratégie de santé publique

Dans ce contexte, le maintien de dispositifs type Aide Médicale d’Etat assure l’accès aux soins de ces personnes et leur mise sous traitement. Sans défense des droits humains, l’objectif des zéros nouvelles contaminations ne sera atteint que pour une partie de la population. La question est de savoir si l’objectif annoncé concerne l’ensemble de la population, ou si le déclassement de l’épidémie en phénomène de marge n’affectant que des groupes précaires et discriminés est une stratégie liée aux politiques migratoires répressives. L’une des stratégies déployée pour aller au-devant de ces groupes est l’approche communautaire. Il s’agit de renforcer l’empowerment ou la capacité d’agir des individus et d’une communauté en les replaçant au centre de leur propre santé, grâce à des offres de dépistages créées par les populations clés et pour les populations clés. Salué par l’ONUSIDA pour son rôle essentiel dans la riposte face au VIH, les communautés ont la capacité d’amener le dépistage au plus près des populations.

Aujourd’hui, le dépistage revêt des formes diverses pour s’adapter aux différents contextes. En plus du bilan sanguin, il existe des Tests Rapides d’Orientation et Diagnostic permettant d’obtenir un résultat en quelques minutes. Sur le même principe, les autotests permettent de réaliser son dépistage de manière autonome avec un résultat quasi-immédiat. Faciles à utiliser, à transporter et à conserver, ces outils dé-médicalisent le dépistage et le sortent des structures hospitalières. Les associations communautaires s’en saisissent, notamment en Afrique. On assiste à un vaste déploiement de l’autotest en Afrique Australe via le projet STAR d’UNITAID ou encore au Mali, au Sénégal et en Côte d’Ivoire avec le projet ATLAS portés par Solthis et l’IRD.

Il s’agit de renforcer l’empowerment ou la capacité d’agir des individus et d’une communauté en les replaçant au centre de leur propre santé, grâce à des offres de dépistages créées par les populations clés et pour les populations clés

Faciliter l’accès au dépistage est au coeur de la stratégie des Fast Tracks cities ou l’engagement des villes contre le VIH. Dans le Nord, ces projets prennent la forme de Centres de Santé Sexuelle Communautaire destinés aux HSH, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, comme la Magnet Clinic de San Francisco ou la Dean Street express à Londres. Leurs objectifs sont de passer à l’échelle en terme de dépistage et de dé-médicaliser et simplifier l’offre en santé sexuelle. Ainsi, dans une logique de Test and Treat, ces centres regroupent en des lieux uniques, l’accès à l’intégralité des dépistages des Infections Sexuellement Transmissibles, grâce à l’auto-prélèvement et à la biologie délocalisée. Les dépistages sont réalisés et analysés sur place avec un résultat en 90 minutes et un accès aux traitements immédiat. Ils mettent aussi à disposition l’ensemble des outils de prévention et proposent une orientation vers le traitement en cas de séropositivité.

Et les résultats sont là. A San Francisco, le nombre de nouvelles découvertes de séropositivité a diminué de 60% entre 2006 et 2017. En France, les premiers Centres de Santé Sexuelle Communautaire seront lancés courant 2020 ; à Paris avec le Checkpoint-Paris, à Marseille et Montpellier avec AIDES, et à Lyon avec Virages Sante. Cependant, si les chiffres du VIH à San Francisco n’ont jamais été aussi bas, ils ont augmenté dans les communautés noires et latinos, ainsi que chez les personnes sans domiciles et chez les UDI.

De fait, les innovations en santé ne peuvent se contenter d’investir les villes. Pour être efficace, l’aller-vers communautaire doit également s’appliquer sur Internet. En effet, l’outreach virtuel est une des solutions privilégiées pour atteindre un public jeune et connecté, qui passe d’abord par les réseaux sociaux pour s’informer. Sur ces applications, les professionnels de santé réalisent des actions de prévention et invitent au dépistage In Real Life. Il est vrai que nous disposons à présent d’une diversité d’outils de prévention pour se prémunir face au VIH. Qu’il soit interne ou externe, le préservatif reste la solution la plus simple d’accès pour protéger ses rapports. En cas de rapports non protégés, le Traitement Post Exposition est un traitement à prendre au plus tôt et jusqu’à 48h après le rapport afin de réduire le risque de contamination.

L’outreach virtuel est une des solutions privilégiées pour atteindre un public jeune et connecté, qui passe d’abord par les réseaux sociaux pour s’informer

Une innovation en santé a également marqué la lutte contre le VIH ces dernières années : la Prophylaxie pré-exposition (PrEP). La PrEP est un médicament permettant de ne pas contracter le VIH lors de rapports non protégés. En 2018, pour la première fois en dix ans, les chiffres des nouvelles découvertes ont diminué de 7% en France et 40% dans les Alpes-Maritimes. Ces évolutions sont à mettre en relation avec l’arrivée de la PrEP en France. Alors que l’Afrique compte deux tiers des personnes qui vivent avec le VIH, la PrEP y est peu déployée. Les chercheurs travaillent sur des solutions adaptées aux contraintes des pays du Sud, telles que la PrEP sous forme d’injections ou d’implants. Un des moyens de prévention préconisé en Afrique est la circoncision masculine médicale volontaire. Une étude Sud-africaine a démontré que la circoncision réduit de 60% la possibilité de contracter le VIH lors de rapports vaginaux non protégés.

Aussi, l’accès aux soins et aux traitements est un enjeu déterminant de la lutte contre le VIH. Le Treatment as Prevention est la mise sous traitement pour atteindre une charge virale indétectable : le taux de virus dans le sang est si faible qu’il est impossible pour une personne séropositive avec une charge virale indétectable de transmettre le VIH. Selon L’ONUSIDA, si 90 % des personnes vivants avec le VIH sont dépistées, que 90% ont accès à un traitement et 90% ont une charge virale indétectable, alors l’épidémie de VIH pourrait être enrayée.

Cette ambition traduit une inégalité dans l’accès aux traitements : les 10% restants seront les personnes précaires et discriminées. Or, l’accès au traitement de manière générale et encore plus chez les enfants est encore insatisfaisant en Afrique, notamment du fait des prix inabordables appliqués par les laboratoires pharmaceutiques. Sur les 1,8 million d’enfants vivant avec le VIH, seuls 54% ont un traitement. Ce dernier est inadapté aux températures africaines alors que 90% des enfants atteints du VIH y résident. En 2019, un nouveau traitement a été annoncé, toutefois, si la couverture actuelle des traitements ne s’étend pas et ne s’inscrit pas dans le cadre d’une mobilisation mondiale, l’épidémie ne pourra être enrayée. Face à cette réalité, la communauté internationale a répondu présent dès 2019, en mobilisant 14 milliards de dollars lors de la restructuration du Fonds Mondial.

Atteindre l’objectif des zéros nouvelles contaminations à l’horizon 2030 est un défi de taille mais théoriquement accessible. A condition de favoriser l’accès aux soins pour les populations clés, d’intensifier le dépistage dans ces communautés et de lutter pour un accès universel à la prévention et aux traitements. Les résultats de trois essais cliniques de vaccin anti-VIH sont attendus en 2021-2022. Mais le virus a de multiples formes qu’un unique vaccin ne pourra supprimer. D’où l’importance de diffuser dans les groupes clés, l’ensemble des solutions déjà existantes. Lutter contre le VIH, c’est aussi lutter contre les violences de genre et lutter pour les droits humains, aussi bien à l’échelle des communautés, des villes qu’à l’international. Finalement, dix ans avant l’échéance, les enjeux de la lutte contre le VIH sont ceux de toutes les grandes luttes sociales : une lutte pour plus d’égalité.

 


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