Violences obstétricales et gynécologiques : comment briser la loi du silence ?
par Laura Boudoux
5 février 2020

« En 2014, l’Organisation Mondiale de la Santé faisait paraître une déclaration sur l’élimination du manque de respect et des mauvais traitements lors de l’accouchement partout dans le monde. S’appuyant sur cette déclaration et notre identification du phénomène sur le territoire Français, nous avons créé un collectif de femme victimes de violences obstétricales et gynécologiques dans lequel elles pouvaient échanger, s’informer, se soutenir. L’absence d’étude sur le sujet en France et le manque de considération de la parole des femmes par les instances concernées nous ont poussé à créer un institut de recherche et d’actions basé sur les cinq recommandations d’actions proposées par l’OMS »  – L’IRASF


Depuis 2015, elles sont déjà des milliers à avoir partagé leurs histoires sur le groupe Facebook SIVO (Stop à l’Impunité des Violences Obstétricales). C’est de ces témoignages de femmes, et de leur volonté de briser la loi du silence, qu’est ensuite né l’Institut de Recherche & d’Actions pour la Santé des Femmes (IRASF), une association qui lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques en France.

“Anesthésies inefficaces, gestes brutaux, césariennes pratiquées sans sédation, manque d’accès à l’information, absence d’un consentement libre et éclairé : les violences obstétricales et gynécologiques touchent à la violence physique, verbale, et à une dimension légale”, explique Basma Boubakri, fondatrice et co-présidente de l’IRASF.

Pour elle, l’objectif premier de l’institut était de définir ce que sont ces violences, encore taboues et très peu reconnues. “Les droits de la patiente ne sont pas respectés. Nous constatons que dans la grande majorité des témoignages que nous recueillons sur SIVO, le consentement n’est pas obtenu, car la violence gynécologique est très peu conceptualisée. On ne fait ainsi pas encore la différence entre un acte médical nécessaire lié à une urgence, et un acte violent”, déplore la fondatrice de l’IRASF.

Pour définir ces actes et pouvoir lutter contre eux, Basma Boubakri utilise l’analogie des violences policières : à quel moment “requalifie-t-on une situation, considérant que certaines actions deviennent de la violence, et ne s’inscrivent plus dans un usage de la force autorisée au niveau légal”. On constate alors que dans le cas des violences obstétricales, les actes malveillants partent toujours d’un acte médical posé, mais qu’il “devient le support d’une violence physique et/ou verbale qualifiée”.

Nous constatons que dans la grande majorité des témoignages que nous recueillons sur SIVO, le consentement n’est pas obtenu, car la violence gynécologique est très peu conceptualisée

De nombreux facteurs interviennent lorsque l’on tente de comprendre les violences faites aux patientes. Manque d’effectif et de formation continue, pratique d’une médecine patriarcale et corporatiste, sexisme, surmédicalisation, racisme : “il s’agit en fait d’une violence institutionnelle, très complexe”, explique Basma Boubakri. Souvent, les violences obstétricales et gynécologiques sont aussi la conséquence d’un refus, de la part des soignants, de partager leur pouvoir de décision avec leurs patientes, par exemple pour le choix de pratiquer, ou non, une épisiotomie. “Il y a un vrai blocage dans la tête des soignants, qui considèrent qu’ils ne peuvent pas céder la moindre part de leur pouvoir, notamment à cause d’un désintéressement supposé de leurs patientes”.

Cela s’additionne au fait que beaucoup de femmes ne savent pas qu’elles ont le droit de refuser un acte, et que de nombreux soignants ne connaissent pas le cadre légal dans lequel ils travaillent. “Par contre, le cadre médico-légal, c’est-à-dire ce que risque le soignant s’il se passe quelque chose, est lui extrêmement bien enregistré par les médecins et sages-femmes, qui réfléchissent beaucoup à travers ce prisme. Tout cela amène à un usage bien particulier de la médecine, qui se fait à travers ces pluralités de causes”, conclut la fondatrice de l’IRASF.

À travers les 3 000 témoignages qu’elle a déjà traités, Basma Boubakri a rapidement décelé une double peine infligée aux patientes : elles sont d’abord victimes de la violence des soignants, puis doivent faire face à l’absence de reconnaissance de leur statut de victime. “Au début, lorsqu’une femme tentait de dénoncer ce type de violence, la réponse était “C’est dans ta tête. C’est à cause de ton vécu. C’est toi qui l’as ressenti comme ça”… On lui disait que ça n’existait que dans son imaginaire, ou qu’il était normal qu’un accouchement soit violent”, dénonce-t-elle. Fonder SIVO, puis l’IRASF était donc un moyen d’informer l’opinion publique, et de soutenir des femmes “très souvent esseulées”.

Car d’un point de vue juridique, les violences obstétricales et gynécologiques n’existent pas, et sont très difficiles à faire reconnaître. Les procédures sont laborieuses, et une patiente seule ne peut pas traduire en chambre disciplinaire de première instance les soignants qui exercent dans les hôpitaux publics. Comme le souligne Basma Boubakri, il est alors “difficile pour une femme seule de décider d’aller au pénal, et de qualifier les actes dont elle a été victime de viol, de torture, ou de violence volontaire ou involontaire”. Pour celles qui “osent porter plainte, dans la plupart des cas, l’affaire est classée sans suite”, précise-t-elle. Une impunité pathologique, qui a notamment à voir avec une protection exacerbée des soignants, “que l’on considère comme des dieux vivants, et qui se considèrent eux-mêmes intouchables”.

L’impunité qui encadre encore à ce jour les violences obstétricales est d’autant plus grave qu’elles ont de lourdes conséquences sur les patientes. “Elles souffrent de séquelles psychologiques et physiques, principalement de syndromes de stress post-traumatiques, comme si elles avaient assisté à une guerre, un attentat, ou un grave accident. Cela impacte la relation de couple, la relation mère-enfant, les interactions sociales sont interrompues, et les arrêts maladie prolongés”, détaille Basma Boubakri. Incontinence, coccyx facturé, organes génitaux meurtris : les patientes victimes de soignants maltraitants ont souvent besoin d’une réparation physique, et d’un accompagnement psychologique, qui fait aujourd’hui défaut.

Malgré tout, il est très important que les femmes “déposent plainte, pour signaler davantage ce type de violences, et alerter les hôpitaux sur ce problème de santé publique”. Le débat autour des violences obstétricales et gynécologiques est désormais ouvert, et la parole se libère peu à peu. Reste que les victimes font face à une errance médicale, et à l’absence quasi-totale de sanction pour les soignants mis en cause. D’après Basma Boubakri, “90% des magistrats, des procureurs, des ordres, etc. ne comprendront pas les plaintes déposées par les patientes dans un premier temps, mais elles aideront à sensibiliser les mentalités”. L’objectif est ensuite de mettre en place une politique de “prévention auprès des gynécologues-obstétriciens et des sages-femmes, mais aussi de dénoncer le caractère inattaquable des fonctionnaires, tout en disant aux femmes qu’elles se soulèvent pour faire partie des processus décisionnaires”.

Le débat autour des violences obstétricales et gynécologiques est désormais ouvert, et la parole se libère peu à peu.

En lien avec les propositions d’action de l’Organisation Mondiale de la Santé, le projet de l’association est donc à la fois un projet d’écoute et de sensibilisation, auprès des victimes mais aussi des acteurs de l’obstétrique et de la gynécologie, et ce notamment grâce à la mise en place de partenariats. Un projet qui se veut « volontariste, basé sur la solidarité et la coopération entre les différents acteurs dans un but d’utilité publique et de promotion de valeurs sociales ». 

“Jusque dans les années 70, le viol n’était pas reconnu comme un crime. C’est Gisèle Halimi qui le fait reconnaître comme tel en 1978. Nous aussi, nous sommes des pionnières”, scande Basma Boubakri. Pour plus de justice et surtout plus de reconnaissance des faits, l’IRASF a mis en place un questionnaire sur son site. Toutes les femmes ayant déjà accouché sont invitées à le remplir, pour que la France ait enfin des chiffres officiels sur lesquels s’appuyer pour lutter contre les violences obstétricales et gynécologiques. À terme, l’institut souhaiterait le développement d’un outil permettant aux patientes victimes de violences de déposer plainte facilement, à travers une procédure simplifiée.


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